vendredi 30 septembre 2011

Chronique d'un redoublement : 2. Une promesse mais un sursis inespéré

 SUITE1

Après un long quart d'heure d'attente, la porte du bureau de la principale s'est ouverte et Mme Petit m'a demandé d'entrer.
Maman avait la mine plus que contrariée et la principale a confirmé ce dont je me doutais : "Christine, je viens d'en discuter avec votre mère qui comprend notre décision. Le conseil de classe refuse votre passage en quatrième. Mais il accepte que vous redoubliez, ce qui est presque une faveur, car certains de vos professeurs pensaient qu'un changement d'établissement vous ferait le plus grand bien".
Je me suis mise à éclater en sanglots, bredouillant un : "Oh, Madame, mais, euh..." que Maman coupa net : "Christine, il n'y a pas de mais qui tienne. C'est hélas la décision que je craignais et à propos de laquelle je te mets en garde depuis des mois. Mais, cela n'a pas été suffisant, semble-t-il. C'est vraiment dommage que tu perdes ton année d'avance pour des questions de discipline et de manque de travail".



Mme Petit renchérit : "C'est vrai que Christine a à l'évidence certaines qualités, mais espérons que cette décision sera salutaire et que la seconde Cinquième sera à la hauteur de ses capacités. Je compte sur vous Christine".
 

Je promis évidemment de bien faire, de ne pas gâcher cette chance de repartir du bon pied. Maman renchérit : "Je pense en effet que Christine fera l'effort nécessaire. J'y compte bien, moi aussi, et je ferai ce qu'il faudra pour... Je ne laisserai pas ma fille continuer à se moquer du monde ou à jouer les intéressantes au lieu de travailler. Je vous prie de croire qu'elle va filer doux, sinon ça va barder..."
Le discours maternel semblait rassurer pleinement Mme Petit, tandis que je continuais à pleurer doucement, mais sans pouvoir m'arrêter...
Maman prit congé de la principale qui lui précisa que le bulletin du dernier trimestre serait remis aux élèves demain et qu'elle aurait alors le détail des notes et appréciations. Je dis au revoir à Mme Petit entre deux sanglots. Maman me tendant un mouchoir me lança : "Mouche-toi et arrête de pleurer, si tu ne veux pas être ridicule en traversant la cour. Garde tes larmes pour plus tard, ma fille. Tu vas en avoir besoin..."
 


La phrase était claire. C'était plus qu'une menace, c'était déjà une promesse... J'allais "avoir besoin" de mes larmes... Mais, je n'en étais pas surprise du tout...
En regagnant la rue, je marchais derrière Maman, sans savoir quoi dire, consciente qu'il n'y avait rien à dire, qu'une tuile venait de me tomber sur la tête, et qu'autre chose allait me tomber sur les fesses...
Maman bouillait intérieurement, mais ne s'exprimait que très peu, hormis quelques petites phrases du genre : "Ah, je le savais bien", ou "Ah, tu vas me le payer..."
Nous sommes rentrées à la maison où les petites étaient gardées par Tata Jacqueline venue dépanner Maman le temps de son rendez-vous au collège.
Dès notre retour, Maman avait informé tout le monde : "Christine va redoubler sa Cinquième. Et c'est une chance qu'elle n'ait pas été renvoyée du collège..."
La nouvelle avait plombé l'ambiance. Tata est repartie très vite, déclinant l'invitation à rester dîner. Je lui en étais secrètement reconnaissante, ne souhaitant pas de témoins de la suite des événements.
En partant, elle m'avait serré fort dans ses bras : "Ma pauvre Christine. Allez, courage. Tu aurais pu faire un effort. C'est un peu toi qui t'es mise dans ces sales draps..."

Côté frangines, c'était le grand calme. L'habituelle électricité dans l'air ressentie quand une fessée se préparait était moins palpable. Aline et Diane sentaient bien que c'était sérieux, très sérieux cette fois, et qu'il valait mieux ne pas se trouver sur le chemin maternel ce soir-là...



Ce calme d'avant la tempête était impressionnant et Maman devait l'apprécier. Ce soir, tout le monde filait doux.
Le repas fut quasi monacal. Personne ne parlait, et moi-même je mangeais le nez plongé vers mon assiette, pour ne pas croiser le regard de Maman, ni celui de mes soeurs.
Le "File dans ta chambre et mets-toi en pyjama", voulait tout dire dans ma tête. C'était comme si elle avait dit : "Christine, va attendre ta fessée..." 
Je m'étais faite une raison, et je préparais déjà mes fesses, trouvant même dans l'ordre maternel un soulagement. Si elle m'envoyai dans ma chambre, c'était pour m'y donner la fessée, donc j'allais éviter la séance que je craignais au salon...
Je n'étais cependant pas pressée de recevoir mon dû... Je pris mon temps et restai longuement dans la salle de bain, pensive, inquiète, pas rassurée à force d'imaginer ce qui m'attendait...

Mes soeurs, elles, avaient rangé la cuisine en quatrième vitesse. Elles étaient plutôt enclines à faire accélérer les choses à mes dépens...




Comme elles tambourinaient à la porte de la salle de bains pour que je leur ouvre, je m'exécutai, histoire de ne pas attirer de remarques maternelles...
Je sortis donc et regagnai ma chambre en pyjama, m'asseyant sur mon lit, au bord des larmes, et ayant déjà dans la tête comme un petit film où je me voyais piaillant sous la claquée maternelle, les fesses rougissantes, et toutes déculottées...

Maman tardait à monter. Deux coups de téléphone successifs la retenaient. C'était des parents d'élèves de l'école des petites à propos de la kermesse de fin d'année qui avait lieu dimanche et où Maman devait tenir un stand.

Puis, elle monta et fit réciter deux leçons d'Aline qui, ce soir-là, les connaissait sur le bout des doigts.
Cela durait, et je vivais cela mal, toujours plongée dans mes visions de cauchemar, mais je n'allais pas appeler Maman : "Dis, tu n'oublies pas que tu dois me donner la fessée ?"

Elle dit enfin bonne nuit aux petites et entra dans ma chambre, en laissant toutefois la porte grande ouverte derrière elle...
Je sentais que je n'avais pas mon mot à dire, et je me levai précipitamment du lit, où elle allait s'asseoir...

Elle me regarda avec un air bizarre : "Tu n'es pas couchée, encore, Christine ?"

Je ne savais pas quoi répondre, je dis en me retenant de ne pas sangloter à nouveau : "Bah, euh, Maman, euh, je, euh, je t'attendais... On devait, euh, parler, euh..."
Elle eut un sourire en coin : "Moi, je ne suis pas sûre qu'il y ait beaucoup à parler... Je crois que c'est plutôt une bonne fessée que tu attends, Christine..."

Je ne pus retenir un énorme sanglot : "Oh Maman, non..."
Elle rétorqua : "C'est vrai, Christine. Tu as raison de l'attendre et tu ne seras pas déçue. Une fille qui travaille mal, qui chahute et qui va redoubler sa Cinquième, cela mérite une fessée magistrale, une de celles dont on se souvient longtemps, ma fille... Mais, il est déjà tard, ce soir. Je vais te laisser dormir, mais tu ne perds rien pour attendre. Mme Petit m'a bien dit que vous auriez les bulletins demain, avec les notes et toutes les appréciations. J'ai hâte de les lire, Christine, et nous prendrons le temps d'en "parler" comme tu dis... Allez, mets-toi au lit !"
Je me suis mise vite fait sous les draps, et j'ai dit bonsoir à Maman qui m'a déposé un baiser sur le front, avant de me laisser dormir.
"Bonne nuit, Christine. Dors vite, car demain la journée risque d'être animée... J'espère que tu n'oublieras pas ton bulletin au collège, et que tu rentreras vite le montrer à Maman... Mais, ne te fais pas d'illusion, ma fille. Tu sais ce qui t'attend... La fessée, Christine, la fessée que tu mérites. Ah, tu peux les préparer tes fesses, ma grande. Ca va barder... crois-moi !"

A SUIVRE

3 commentaires:

  1. Bravo Christine, très belle suite qui confirme mon commentaire du 30, à savoir le courroux de Maman à l'égard de sa fille et lui annonce le programme pour l'année prochaine.

    Bien sur, avant cela, Maman n'oublie pas d'évoquer devant Mme PETIT la suite immédiate de cette décision à Christine qui n'est pas surprise, mais certainement mal à l'aise à cette évocation devant la principale qui connait bien Mme SPAAK et donc peut être aussi ces méthodes.

    Pour notre héroïne, l'angoisse monte de plus en plus et va se prolonger, lorsque Maman décide de différer au lendemain sa promesse, tout en précisant à sa fille que la fessée sera magistrale avec un grand M (comme mal).

    Autre facteur d'angoisse, le fait que Christine pensait recevoir cette tannée dans sa chambre, ce qui est moins certain, à mon avis mais peut être que je me trompe, nous verrons bien!

    Encore bravo Christine pour ce récit, qui nous tiens en haleine.

    Dominique

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  2. (mardhol) Ce que vous soulignez à merveille dans ce chapitre, c’est la dimension exceptionnelle, extra-ordinaire, de la fessée qui s’annonce. Un redoublement, ça ne résonne pas comme un vêtement taché ou un vase cassé, un redoublement porte ses conséquences sur toute une année, et mérite une sanction proportionnée à la faute, c’est à dire en l'occurrence hors normes.

    Du coup, c’est toute la maisonnée qui en est comme inhabituellement assombrie. L’ambiance est « plombée » par l’annonce assénée par votre maman, à tel point que votre tante se sent de trop et s’éclipse, par tact et discrétion, pour laisser le champ libre à sa grande soeur, non sans adresser à notre infortunée fautive, qu’elle se trouve bien impuissante à tirer de ce mauvais pas, des gestes et propos compatissants. Aline et Diane sentent que c’est du « très sérieux » et semblent s’abstenir de leurs habituelles moqueries. Le repas est « quasi monacal », c’est vraiment, comme vous l’écrivez, le « calme avant la tempête ». J’imagine l’appréhension grandissante de Christine, déjà condamnée mais dans l’attente de l’exécution, évoluant dans une atmosphère oppressante dont tout lui rapelle la sentence majeure qui s’apprête à lui être appliquée.

    (Excellent dessin au passage, qui doit reproduire avec passablement de réalisme le genre de scène mainte et mainte fois vécue par Christine. On y voit, dans le droit esprit de votre blog, une mère impeccable et imperturbable occupée à rougir, avec application mais sans acharnement, le postérieur exposé de sa fille en pyjama et en pleurs.)

    Pour la suite, votre texte témoigne de ces qualités d’écriture que je vous ai déjà maintes fois relevées : soin porté au réalisme (par l’évocation de la kermesse de fin d’année), effet de ralenti (par l’accumulation des actions secondaires par lesquelles s’égrène l’expectative angoissée de la narratrice) mais aussi par votre aptitude au renouvellement.

    Ainsi, contre toute attente, Christine obtient un sursis et voit sa punition remise au lendemain, quand elle reviendra nantie de son bulletin. Alors seulement notre héroïne recevra « son dû ».

    Je crois bien que c’est la première fois, dans l’économie de votre blog, que votre mère annonce une fessée sans l’administrer immédiatement. (Enfin si, il y avait eu ce retard au retour du cinéma, mais l’exécution avait déjà eu lieu au petit matin.) Dès lors, je me plais à imaginer quelle nuit et surtout quelle journée va passer Christine, dans l’attente de ce qui va lui arriver, les tripes nouées par l’angoisse, perpétuellement au bord des larmes et des sanglots, indifférente aux rires de ses camarades à l’orée des grandes vacances. Mais oui mais oui, si la cloche a sonné et que l’école est finie, personne, si ce n'est la poigne maternelle, ne prendra la main de celle pour qui les ennuis ne font que commencer. Vous vous attarderez sans doute sur votre lent et triste retour, avançant pas à pas et bien malgré vous, au bord de l’évanouissement, parcourant avec anxiété votre bulletin et évaluant, à l’aune de vos mauvaises notes et évaluations négatives, l’ampleur de la fessée au programme.

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  3. (suite com) mardhol je me demande aussi comment vous allez nous décrire cette fessée d’exception. Nous avons déjà eu droit à quelques fessées hors normes. Je pense notamment à celle que vous

    avez reçue (et racontée) dans « La malade imaginaire », pour laquelle votre mère s’est démenée « avec une vigueur que [vous] ne lui connaiss[iez] pas » pour vous administrer un modele de tannée « dont [vous] [vous] souv[enez] encore ». Celle au centre de « Le beau temps ne dure jamais éternellement » se distingue aussi par sa force et sa vigueur. Mais là il en est encore autrement, la faute est encore plus grave, et je me questionne sur le vocabulaire et le style que vous allez mobiliser pour nous faire ressortir la singularité de cette fessée qui s’avérera sans doute la plus marquante de votre blog, un genre de petit drapeau que vous allez planter au sommet de votre talent.

    Mais je ne vous mets pas davantage de pression et attends patiemment la suite immédiate. Prenez votre temps et faites durer le suspens comme vous en avez l’art et l’habitude.

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