Je n'avais pas très bien dormi, la nuit suivant cette fessée d'Aline. Ma peur, mon angoisse de voir les pronostics de mes camarades s'avérer exacts continuaient de me perturber. Et pourtant, d'habitude, si je peux m'exprimer ainsi, je faisais moins de cas des fessées reçues par mes soeurs.
Lorsque cela arrivait à Diane, la plus moqueuse des petites, et la plus souvent épargnée, je me disais que ce n'était qu'un juste retour des choses. Et, puis, quand c'était Aline, pour moi c'était normal qu'elle y soit soumise, puisque moi aussi j'y passais, et même à certaines périodes plus souvent qu'à mon tour...
J'entendais la scène sans l'écouter vraiment, sauf circonstances particulières. Cela me consolait presque, me montrant que nous étions toutes les trois régies par les mêmes lois maternelles.
Cette fois, j'étais dans un autre état d'esprit, tenant plus que tout à éviter toute nouvelle déconvenue, rêvant que les dernières semaines, avec un passage en Quatrième qui se profilait cette fois (je n'allais pas retripler bien sûr), bref que je puisse réussir à atteindre les vacances sans donner raison aux moqueuses qui s'amusaient bien à me prédire de nouvelles déconvenues fessières...
Or, Maman, elle, n'était pas disposée à lever le pied, à baisser la garde. Au contraire... Bien consciente que l'an passé, c'est dans les dernières semaines que j'avais loupé le coche, et montré par mes chahuts et mon manque d'attention notamment, que je manquais un peu de maturité, et qu'une année de redoublement ne me ferait pas de mal...
Chat échaudé craint l'eau froide, dit le proverbe, et cette fois Maman était bien décidée à ne rien laisser passer, surtout de ma part...
Après la deuxième fessée consécutive reçue par Aline,
et en ayant en tête les menaces maternelles répétées,
comment n'aurais-je pas craint d'être la suivante
à venir sur ses genoux ?
Et l'angoisse me rendait d'autant plus nerveuse...
Aline en avait fait les frais, avec cette deuxième fessée consécutive, qui était une preuve que la détermination de Maman n'était pas que dans les mots. Mais bien dans les actes aussi...
Et, elle l'avait bien répété, comme elle le faisait vis à vis de mes soeurs quand c'est moi qui recevais une fessée. En venant me dire bonsoir, elle avait été claire, et ses mots je les entendais comme s'ils revenaient en écho dans ma tête : "En tout cas, j'espère bien pour toi qu'il n'y aura pas de mauvaises surprises durant ce dernier mois... Sinon, comme ce qui est arrivé ce soir à Aline, tu n'auras qu'à préparer tes fesses, ma fille. Et je te prie de croire que je n'irai pas de main morte... Je t'aurai assez prévenue, Christine " !
En venant me dire bonsoir, Maman avait été claire.
Ce qui venait d'arriver à Aline risquait bien de m'arriver aussi,
et j'avais intérêt à me tenir à carreau,
sinon je n'avais qu'à préparer mes fesses...
Angoissée, j'écoutais ses menaces en frissonnant...
Comme, en plus, les moqueries de mes copines me rendaient nerveuse, ce que Maman prenait pour une attitude pouvant trahir une cachotterie de ma part, cela n'arrangeait pas mes affaires, Maman redoublant d'attention, comme si elle se préparait au pire...
Et, je sentais bien que j'étais dans la ligne de mire... J'en devenais même plutôt pessimiste, commençant à penser que j'aurais du mal à passer entre les gouttes... J'avais envie de crier à tue-tête "Non, non, non !" mais insidieusement une petite voix, plutôt réaliste et fondée sur bien des exemples passés, me disait à l'oreille : "Ne crois pas aux miracles... Je serais à ta place, je commencerais à préparer mes fesses..."
Le lendemain, au collège, j'essayai d'oublier mes peurs et cauchemars, mais les regards de Babette et Brigitte continuaient à être moqueurs, et j'avais l'impression qu'elles s'arrêtaient de parler ou changeaient de sujet quand je m'approchais d'elles, souvent en train de papoter avec d'autres filles dans la cour.
En cours d'histoire-géo, la prof annonça qu'elle rendrait les copies de notre contrôle à la fin de l'heure. Brigitte et Babette me regardèrent en faisant semblant d'être angoissées pour moi... Rien que ce double regard me fit me demander si elles n'avaient pas raison, et je tendis le dos jusqu'à la fin de l'heure.
Brigitte eu 11 sur 20, puis Babette juste la moyenne. Je commençais à moins bien respirer, mais les copies n'étaient pas dans l'ordre des notes et je récoltai finalement un 13 qui me fit jubiler ouvertement.
La prof modéra ma réaction en disant : "C'est assez bien, Christine, mais pas glorieux pour une redoublante". Je calmai ma joie, mais ce 13 m'évita de nouvelles réflexions des moqueuses à la sortie des cours.
En rentrant à la maison, Maman me demanda si j'avais des résultats. Je lui montrai, assez heureuse la note de géo, mais j'évitai de pavoiser car la prof avait annoté la copie d'un "Travail correct, mais avec encore quelques étourderies surprenantes pour une redoublante".
Cela fit tiquer Maman, évidemment. Et j'eus droit une fois de plus à un mini-sermon : "Ah, Christine, Christine, quand feras-tu attention dans ton travail ? Je suis sûre que tu aurais pu avoir un 16 ou un 18. Bon, je ne vais pas te disputer parce que 13 sur 20, c'est assez bien, mais franchement, ma fille, on dirait que tu cherches les ennuis... Fais un effort, quand même... Quand je vois ça, je me dis qu'il y a des fessées qui se perdent... Mais, elles ne vont peut-être pas se perdre pour longtemps..."
Mon 13 sur 20 n'avait pas fait l'effet escompté...
Maman savait bien qu'avec moins d'étourderie et plus d'application,
j'aurais ramené une vraie bonne note...
Maman en regrettait même de n'avoir pas sévi plus tôt...
Je montai dans ma chambre sans répondre, et m'appliquai à bien faire mes devoirs. Je prenais bien sûr la menace maternelle au sérieux. Si même un 13 sur 20 me faisait récolter des menaces de fessée, mieux valait ne pas en rajouter et ne surtout pas jouer avec la patience maternelle...
Le surlendemain, dans la cour, devant trois autres élèves une réflexion de Babette me fit bondir : "Alors, il parait que ta petite soeur a pris une fessée l'autre soir... Ca va sûrement être bientôt ton tour, non ?"
Surprise, je ne pus m'empêcher de rougir, au lieu de jouer les non-concernées. Pire, je balbutiai : "D'ailleurs c'est pas vrai, c'est pas ma toute petite soeur, c'était Aline, la moyenne".
Je m'en mordis la langue, car je venais bel et bien de confirmer la nouvelle... Je vis dans le regard brillant des témoins que je devenais un objet de curiosité, surtout quand Babette ajouta : "Tu vois que j'avais raison. Et, moi je dis, qu'après la moyenne, ce sera le tour de la grande, hi hi..."
Je me demandais bien comment mes camarades avaient pu savoir
qu'Aline avait récolté une bonne fessée.
Bêtement, j'avais confirmé la nouvelle pour bien dire
que ce n'était pas moi à qui c'était arrivé...
Mais, les moqueuses rirent en prédisant
que ce serait bientôt mon tour...
J'en aurais pleuré, d'autant que, dans ma tête,
c'est bien cela que je craignais...
Et, comme j'en voulais à Maman, je me montrai du genre grognonne, me valant une réflexion accompagnée d'un geste de la main très significatif qui me calmèrent un peu. Cela aurait été un comble que je donne raison à Babette alors que mon énervement venait de ses réflexions à elle...
En tout cas, cela me minait de plus en plus, au point de ne plus avoir envie d'aller au collège, et de m'y rendre en trainant le pas, broyant du noir.
Il y eut pourtant un vrai moment d'espoir, lorsque le jour d'après, je décochai un 15,5 sur 20 en maths. Et cette fois, sans annotation négative, avec même un "Bon travail. Continue."
Je n'attendis pas le soir pour l'annoncer à Maman. Je fanfaronnai à midi, recevant les félicitations maternelles, avec juste ce bémol : 'Tu vois bien, Christine, que quand tu veux, tu peux. Ce serait si bien si c'était pareil dans toutes les matières, sans que je sois obligée, comme souvent, de sévir, si tu vois ce que je veux dire..."
Je voyais très bien en effet, et mes soeurs attablées avec nous avaient bien compris aussi...
Cette bonne note me fit croire que j'allais réussir, malgré tous les oiseaux de mauvais augure, et je retournai au collège guillerette cette fois.
Je passai même une bonne nuit le soir-même, rêvant cette fois que Babette recevait la fessée, non pas de sa mère, mais de Maman devant moi... Invraisemblable, mais ce rêve-là me plaisait bien...
Cela m'amusa et j'en rigolais sous cape en retournant au collège. Babette et Brigitte avaient dû remarquer mon changement d'attitude, et surtout que je ne répondis pas à deux ou trois petits gestes imitant une menace maternelle, qu'elles me firent en douce.
Peut-être est-ce cela qui a quelque peu déstabilisé mes deux camarades qui poursuivirent leurs messes basses et chuchotements durant le cours d'anglais, récoltant deux premières remarques de Mlle Paule.
Babette et Brigitte se turent un petit quart d'heure, mais reprirent de plus belle, ce qui agaça passablement notre prof d'anglais, et je vis à l'avance que cela finirait mal. Un nouveau regard noir vers mes camarades les fit taire, mais dès que l'enseignante se mit à écrire au tableau, Babette murmura à nouveau à l'oreille de sa voisine.
Se retournant très vite, Mlle Paule pointa du doigt les deux bavardes, annonçant : "Mesdemoiselles, puisque vous avez tant de choses à vous dire, vous pourrez poursuivre votre conversation durant les deux heures de colle que je vous donne" !
La remarque ironique déclencha l'hilarité de la classe, alors que Brigitte et Babette faisaient grise mine. De mon côté, j'avais bien vu le coup venir, et j'exultai. Sauf que je ne fus pas discrète, lâchant : "Wouahou... Ca, c'est bien fait pour elles !"
C'était à mi-voix seulement, mais très audible, surtout que cela me sortit de la bouche, et du coeur, juste au moment où, après l'éclat de rire général, le silence était revenu...
C'était comme sorti de mon coeur. L'annonce des heures de colle
pour Babette et Brigitte m'avait fait m'exclamer :
"Wouahou, c'est bien fait pour elles" !
Hélas, je l'avais dit tout haut...
J'allais bientôt m'en mordre les doigts...
Mlle Paule me regarda avec un petit air, que je lui connaissais trop, et qui voulait dire : "Ah, Christine, tu n'en manques pas une..."
Je changeai de visage, mon large sourire se muant en mine angoissée. Et je devinai qu'une tuile allait me tomber sur la tête. Cela se confirma immédiatement, la prof d'anglais me lançant : "Mademoiselle Spaak, quand je vois vos résultats, je vous trouve assez mal placée pour vous moquer de vos camarades. Alors, pour ne pas faire de jalouses, vous aurez droit aussi à deux heures de colle..."
Mlle Paule avait parfaitement entendu mon cri du coeur.
Son regard noir et son doigt me pointant,
je compris qu'elle ne me louperait pas...
L'annonce des deux heures de colle qu'elle me donnait
sonna comme le glas de mes espoirs de clémence maternelle...
Je gémis : "Oh, nooon" ! Mlle Paule rétorqua : "Oh, que si... Depuis le temps, vous savez bien que je tiens mes promesses..."
Et la prof, impertubable, de reprendre le cours pour son dernier quart d'heure, alors que j'eus tout le mal du monde à ne pas éclater en sanglots...
J'étais comme abasourdie. C'était le scénario catastrophe, le retournement de situation où, en deux minutes, ma petite joie, compréhensible au vu du contexte, de savoir Babette et Brigitte collées, venait de me faire faire le faux pas, idiot, je m'en voulais déjà, mais le faux pas fatal, je n'en avais aucun doute...
Et ce qui me pétrifiait sur place, c'était bien que, cette fois, j'en étais sûre et certaine, je n'étais pas la seule à savoir que cela allait barder dans la famille Spaak...
Deux heures de colle de plus, au début de ce dernier mois jugé primordial par Maman. Deux heures de colle, pire encore, distribuées par ma bête noire, par la prof à propos de laquelle Maman m'a mis le plus en garde, je ne me faisais pas la moindre illusion sur une quelconque chance de m'en sortir... J'en avais déjà la chair de poule, et comme des frissons prémonitoires au bas du dos...
A SUIVRE