J'étais rentrée à la maison, la peur au ventre, avec les mots de Maman qui tournaient en boucle dans ma tête : "Nous allons régler cela à la maison... Tu peux préparer tes fesses, ma grande..."
De doute, personne n'en avait plus, et la jeune vendeuse de la boulangerie connaissait même le programme, annoncé clairement par une mère qui n'avait pas l'air de plaisanter : "Ma chère fille réfléchira peut-être à deux fois avant d'embêter sa soeur, une fois que je lui aurai donné la bonne fessée qu'elle mérite..."
Alors, inutile de préciser qu'une fois la porte refermée, ça filait droit chez les Spaak. Même côté des petites soeurs, si l'oeil pétillait en imaginant que l'ainée allait passer un sale quart d'heure, les consignes maternelles étaient appliquées à la lettre.
Nulle ne voulait risquer de faire partie de la distribution imminente...
Aline ou Diane aurait certainement, en de telles circonstances, montré leur nervosité, chigné en implorant le pardon, pleurniché avant l'heure, et Maman n'aurait pas tardé à régler ses comptes.
Moi, dans l'attente d'une fessée, je cherchais plutôt à jouer à la fille invisible, à ne pas me faire remarquer, à rentrer dans le moule, à ne pas faire de vague.
La fessée à donner à Christine devenait donc l'une des tâches maternelles à accomplir dans la soirée, certainement aussi "obligatoire" dans la pensée de Maman que de nous faire diner, que de vérifier les devoirs et de coucher son monde. Mais, comme elle n'agissait plus sur le coup d'une colère ponctuelle, et avait annoncé la sanction en en différant l'exécution, l'ordre des choses à faire dépendait de son bon vouloir. Et mon attitude consistant à préférer "gagner du temps", amenait logiquement Maman à vouloir se débarrasser des choses à faire dans un ordre allant de la plus petite à la plus grande, comme c'est le cas habituellement dans les familles où les petits sont couchés avant les grands.
A posteriori, je comprends que je ne gagnais pas au change, car ma fessée hantait le climat familial et illustrait les moindres menaces au cours de la soirée. Car, aussi, cela ne faisait que rallonger ma période d'angoisse, que prolonger le temps où me revenaient des images, des peurs, des sensations anticipatrices. Car, bien sûr, aussi, n'étant pas donnée dans la hâte au milieu d'une liste de tâches à accomplir, ma fessée devenait le point d'orgue de la soirée maternelle. Et je pense que Maman devait avoir alors une réflexion du style : "Bon, le diner est pris, la cuisine rangée, les petites au lit, ouf, voilà déjà de bonnes choses de faites. Reste encore à m'occuper de Christine. Pas question qu'elle y échappe..."
Mais, dans une maison devenue silencieuse, l'affaire n'était pas à la minute. Maman pouvait souffler un instant, se re-motiver, avant de passer aux choses sérieuses... C'est en tout cas dans cet ordre que se déroulèrent les événements de cette soirée. Maman m'avait laissée mijoter dans ma chambre jusqu'au dîner, et j'avais vaguement tenté de réviser mes leçons, pour me donner bonne conscience, pour pouvoir montrer une image studieuse au moment où elle viendrait me retrouver.
Mais, elle n'avait pas franchi le seuil de ma porte restée close durant un temps dont chaque minute me semblait durer dix fois plus. Ce qui m'impressionnait était d'ailleurs un calme inhabituel, à la place des éclats de voix fréquents en pareil moment de la journée. Maman n'avait pas besoin d'élever la voix, pour obtenir ce qu'elle voulait, du moins n'entendai-je rien qui pouvait ressembler à un rappel à l'ordre. Et cela devait certainement conforter notre mère dans l'idée que sa méthode était la bonne, et donc qu'il ne fallait sûrement pas en changer, ni revenir sur ce qui était dit...
Quand Maman nous appela pour passer à table, les petites dévalèrent l'escalier sans doute en appétit, ce qui n'était pas mon cas...
J'arrivai donc la dernière dans la cuisine, sous le regard de trois paires d'yeux qui me scrutaient d'un drôle d'air.
Maman me lança : "Tu aurais pu te mettre en pyjama, Christine".
Mais elle ne l'avait pas demandé et je m'étais bien gardée d'en prendre l'initiative, n'aimant guère être en tenue de nuit pour dîner, trouvant que cela renvoyait une image infantile.
Les petites portaient leur chemise de nuit et robe de chambre, et cela ne me déplaisait pas d'avoir une image de grande en ces circonstances. L'image se trouva toutefois très vite écornée par une paire d'allusions maternelles au cours du repas, qui rappelèrent que Maman n'en avait pas fini avec moi.
Dès son ramequin de crème caramel maison avalé, Diane fut autorisée à sortir de table, Aline étant réquisitionnée pour aider Maman à ranger la cuisine. J'achevai mon dessert plus lentement, puis je fus envoyée dans ma chambre...
Au bas de l'escalier, j'esquissai un : "Euh, dis, M'man..." qui se voulait comme une supplique tardive, mais dont les mots étaient bloqués dans ma gorge.
Maman coupa net : "Allez, Christine, ce n'est pas le moment de discuter. Tu sais très bien ce que je t'ai promis... Monte te mettre en pyjama et attends-moi" !
En passant devant la chambre des petites, la mine ouvertement réjouie de Diane me donna envie d'aller lui redonner des coups de pied, mais je me retins, sachant que j'étais déjà en bien fâcheuse posture...
J'ai baissé les yeux et suis rentrée dans ma chambre, la refermant derrière moi, et m'asseyant sur le rebord de mon lit, hagarde, désemparée, au bord des larmes. J'avais envie de me sauver au bout du monde, mais qu'aurais-je fait toute seule ? Je comprenais qu'il n'y avait rien d'autre à faire que d'attendre le bon vouloir maternel, que d'attendre ce qui "m'avait été promis", comme elle venait de le rappeler au vu et au su de toute la maisonnée, donc de "préparer mes fesses".
Et, au lieu de me dire que cela faisait un moment que j'y avais échappé, que tôt ou tard cela devait bien arriver, au lieu de dédramatiser dans ma tête, au contraire, le délai de presque trois semaines depuis ma dernière déculottée semblait décupler ma peur, rendre ce qui n'était "qu'une fessée de plus", en "la" fessée, la Fessée avec un F majuscule, parce que la fessée imminente fait forcément peur, donne comme une sorte de trac de débutante...
Je suis restée ainsi un bon moment, me refusant à bouger, à me "préparer"...
La remontée d'Aline dans la chambre des petites, les bruits de fermeture des volets du bas, me sortirent de ma torpeur, et je me décidai à me mettre en tenue de nuit, en essayant de focaliser sur le fait que je dormirais ainsi, et en chassant de ma tête que ce serait auparavant ma "tenue de fessée", si j'ose dire...
Pas facile en tout cas de quitter des vêtements bien protecteurs pour d'autres plus vulnérables, et de sentir un instant l'air frais sur une lune encore blanche, mais qui frissonne à l'avance de ses futurs tourments.
En montant coucher mes soeurs, Maman avait ouvert la porte de ma chambre, passant la tête et vérifiant : "Ca y est. Tu es prête, Christine ?" qui résonnait comme "Es-tu prête pour recevoir la fessée?" Et non pas "prête pour dormir" bien sûr...
Le bonsoir aux petites suivit ses rituels habituels, toujours accompagné de petits dialogues avec chaque enfant et d'un gros câlin final. Il me sembla presque plus rapide qu'un autre soir, mais dans mon cas, il agissait comme un compte à rebours....
Maman l'acheva par un "Plus un bruit, je ne veux rien entendre", dont je savais qu'il serait évidemment respecté. A peine, entendis-je un début de chuchotement et comme un rire étouffé (mes soeurettes devaient évoquer mon cas...), quand Maman redescendit un instant, mais dès que son pas remonta l'escalier, le silence se fit total. Aline et Diane devaient sûrement passer en mode "écoute amplifiée"...
Par réflexe, en entendant Maman arriver, je m'étais mise près de la fenêtre, soit le plus loin de la porte, qu'elle franchit et ne referma qu'à peine à moitié derrière elle...
"Alors, Mademoiselle l'écervelée à qui on ne peut même pas demander de garder un oeil sur sa soeur plus de cinq minutes, et qui en plus fait ses petits coups en douce, en mentant publiquement à sa Maman, viens donc voir ici que je t'apprenne les bonnes manières". En prononçant ces mots à voix suffisamment audible pour que la chambre voisine en profite, Maman s'était assise sur le lit et me désignait ses genoux...
"Maman, non, s'il te plait, je te demande pardon, mais non, pas la fessée, non..." Ma supplique était prononcée à mi-voix, consciente que la porte ouverte m'imposait d'être discrète, et surtout ne sachant pas que dire, tant je savais ma cause perdue...
"Oh, si, tu vas l'avoir la fessée, et pas plus tard que tout de suite... VIENS ICI..." La voix de Maman se faisait de plus en plus forte, et je m'approchai comme pour la faire taire. Presque vite pour une fois, et elle en profita pour me basculer immédiatement en travers de ses genoux...
La chemise de nuit était remontée sur mon dos pendant que je plongeais en position. Restait seuelemnt ma culotte bien couvrante, sur laquelle Maman asséna d'entrée quelques claques en me demandant d'arrêter de gigoter... Puis, elle stoppa sa main pour attraper l'élastique de ce dernier rempart.
"Lâche ta culotte, Christine. Je ne plaisante pas. Tu mérites une bonne déculottée, ma fille, et plus tu m'en empêches et plus ça va aller mal pour tes fesses, tu peux me croire..." Tout ce que j'avais gagné en faisant ce geste protecteur, c'était bien d'énerver davantage Maman, et en plus de lui faire dire à haute voix, qu'elle était en train de baisser ma culotte, et d'ajouter ce détail dans l'imagination débordante de mes soeurettes aux aguets...
Je rendis les armes et Maman dégagea ma lune largement, arrêtant la culotte au dessus de mes genoux, et je la sentais entravant les jambes quand par moment, la douleur montant, je me remettais à gigoter sous l'averse maternelle...
"Ah, je vais t'apprendre à faire des coups en douce... Heureusement que la boulangère t'a vue... En tout cas, je vais t'enlever l'envie de recommencer... Tiens, tiens, et tiens..." La fessée tombait alternant les cycles rapides et ceux plus méthodiques. Assurément Maman s'appliquait à fesser d'importance son ainée...
Après cette période de calme plat sur mon bas du dos, le retour aux dures réalités n'en était que plus mortifiant, que plus honteux, que plus douloureux... Je retrouvais des sensations qui n'avaient pas arrêté de peupler mes cauchemars et mes peurs.
"Tiens, tiens, tiens, tu l'auras bien cherchée cette volée, ma fille. Cela fait quelques jours qu'elle te pendait au dessus des fesses. Voilà, Mademoiselle est servie et bien servie, et tu n'as pas intérêt à recommencer, parce que, moi, je te promets que tu n'es pas au bout de tes peines, Christine... Puisqu'il n'y a que cela qui te fasse comprendre certaines choses, eh bien, je continuerai à te les faire comprendre ainsi... Tiens, tiens, tiens, par une bonne fessée chaque fois qu'il le faudra, une bonne déculottée, ma fille... Et ce n'est pas moi qui céderai la première... Alors, tiens, tiens et tiens... je te conseillerais de retenir la leçon et de t'assagir, Christine... Sinon, j'en connais une qui s'endormira souvent avec les fesses bien rouges... Comme ce soir, ma fille, comme ce soir... Et, tiens, tiens, tiens..." Le final de cette dégelée maison fut accompagné de ce sermon aux allures de promesses de fessées à venir, et me laissa sans force, vaincue, épuisée, la lune écarlate et brulante...
"Remonte ta culotte, et mets-toi au lit", lança Maman, à voix forte, comme s'il y avait encore quelqu'un qui doutait de ma déculottée.
Le bonsoir fut sommaire et Maman me laissa pleurnichante dans le noir, au terme d'une tannée que, somme toute, j'avais, je le reconnais, plutôt méritée...
A SUIVRE