"Ah, te voilà quand même. Tu descends plus vite d'habitude quand ta tante est là. Cela ne plait guère de devoir t'appeler plusieurs fois pour que tu obéisses, Christine. Ce n'est pourtant pas le jour où tu as intérêt à te distinguer... Tu l'as déjà assez fait comme ça", lança Maman quand j'apprus donc enfin, l'air penaude, et le pas timide.
Je comprenais que Maman était encore en rogne après moi, et je suis allée embrasser Tata, qui m'a serrée dans ses bras, où je restai quelques secondes. Comme un refuge, même si j'avais senti dans le regard presque amusé de la soeur de Maman une sorte de gentille moquerie à mon égard.
"On va pouvoir passer à table", poursuivit Maman qui venait de reposer son verre de Porto sur la table basse, avant de se rasseoir en constatant que Tata avait encore deux ou trois gorgées à finir.
Rien ne pressait, mais j'aurais bien aimé quand même que l'on passe au diner pour éviter de nouvelles parlotes autour de mon cas.
Surtout que si Tata et Aline s'étaient assises sur le canapé, Diane et Maman étaient sur des chaises, Maman ayant repris la la place où elle s'était "occupée" de mon cas...
C'était étrange. Il n'y avait plus de Christine sur ses genoux, mais j'avais l'impression de m'y revoir, et je repensais à la porte-fenêtre, prenant conscience que mes soeurs n'avaient dû pas rater grand chose de la scène...
Je m'étais assise à mon tour et je n'avais envie de rien dire, j'aurais voulu être transparente, être la fille invisible.
Mais, j'étais forcément le centre de tous les regards et j'avais conscience que mes oreilles allaient bientôt siffler à nouveau, à propos de mes exploits.
Sentant peut-être ma gêne, Tata Jacqueline embraya la conversation sur mes soeurs, demandant à Diane si elle avait de bonnes notes, ce que ma petite soeur confirma en frimant un maximum...
La même question posée à Aline eut une réponse plus ambigüe. Elle attendait un résultat de composition et n'était pas des plus confiantes. Maman intervint : "J'espère que cela ne sera pas aussi mauvais que le mois dernier, sinon ça pourrait aller mal, tu sais bien Aline..."
Ma soeur ne releva pas faisant semblant de ne pas comprendre précisément. Diane, qui pouvait se permettre de jouer les filles modèles, releva, lançant à Aline : "Tu sais, si tu as des mauvaises notes, eh bien, Maman te donnera la fessée, la fessée déculottée, comme à Christine".
L'évocation de mon cas raviva mon émotion, et me rappela que j'avais le bas du dos encore endolori. J'eus du mal à me retenir de sangloter à nouveau.
Maman tint toutefois à rabattre le caquet de la vantarde, menaçant : "Diane, s'il te plait, tu ferais bien de te taire. Ce ne sont pas tes oignons. Et tu n'es pas à l'abri toi non plus. Cela fait un petit moment que tu y échappes, mais si tu veux prendre la suite de Christine, je peux aussi te baisser ta culotte ma chérie..."
Ma soeur qui était rieuse et enjouée, se figea d'un coup et tira une mine pas possible, vexée de cette réplique maternelle. A tout autre moment, j'aurais retenu, de mon côté, un sourire moqueur. Là, à l'évidence, la tirade de Maman était bienvenue et nécessaire. Toutefois, j'avais mal ressenti sa façon de présenter la chose. En menaçant Diane de "prendre ma suite" et de baisser sa culotte "aussi", elle rappelait bien à tout le monde ce qui m'était arrivé peu avant...
Tata ayant fini son verre, Maman ramassa ce qui était sur la table basse et se dirigea vers la cuisine pour ranger et finir de préparer le diner. Tata la suivit se proposant de donner un coup de main.
Je fus chargée pour ma part de dresser le couvert et fis donc plusieurs aller-retour entre cuisine et le coin salle à manger du salon.
Maman grognait en évoquant ses filles : "Vivement qu'elles grandissent vraiment", et Tata en profita pour lui demander qu'elle lui "raconte" mes exploits, comme elle l'avait annoncé quand Tata était arrivée.
Aline et Diane étaient restées dans le salon, mais comme j'allais et venais entre cuisine et salle à manger, je ne manquai rien des confidences maternelles.
Peut-être aurais-je dû me boucher les oreilles, ne pas m'attarder dans la cuisine, mais autant le sujet me faisait honte, autant je n'arrivais pas à me détacher des paroles maternelles.
Cela me mettait au bord des larmes, mais j'avais besoin de savoir ce que Maman en disait, ce que Tata en saurait.
Maman expliqua donc ma grosse bourde, et je fus même surprise de l'entendre dire : "Cela peut arriver. Une maladresse et le feutre casse, si au moins Christine m'avait prévenue à ce moment-là, cela n'aurait pas tourné à la catastrophe..."
Tata jouait les compréhensives, minimisant à son tour ma maladresse. Mais la voix de Maman retrouva des accents sévères en évoquant la suite : "Ce qui est grave, c'est que ta chère nièce a tout caché au milieu d'une pile de linge, et je ne te dis pas les dégâts... Il y a plusieurs vêtements à jeter, c'est irrattrapable."
Ma tante ne put que reconnaître qu'il y avait de quoi être vraiment fâchée... "D'où ce qui s'est passé avant que j'arrive, donc. Ma nièce préférée, comme tu dis, a dû passer un mauvais quart d'heure", rétorqua Tata, alors que j'étais revenue dans la cuisine.
Me voyant, elle se retourna et me dit : "Ah, ma pauvre chérie, ça ne doit pas être drôle, mais c'est ce qui arrive quand on désobéit ou on fâche sa Maman. Et avec ta grosse bêtise, connaissant ta Maman, tu savais bien que aurais la fessée, non ? Tu le comprends, Christine ?"
Je ne voulais certainement pas entamer un débat sur le sujet, j'étais rougissante et encore honteuse que la conversation tourne autour de mes fesses...
J'ai donc cherché l'apaisement, en acquiesçant entre deux sanglots me remontant à la gorge : "Bah, euh, oui, euh, oui Tata, je, euh, je comprends".
Maman rembraya : "Ca, comprendre, je pense qu'avec la volée qu'elle a prise, je n'en doute pas. Je crois que Christine a eu le temps de réfléchir, parce que Mademoiselle a été soignée avec une déculottée magistrale. J'espère surtout qu'elle s'en souviendra et arrêtera ses mensonges à répétition".
Tata plaida pour moi : "Mais, oui, je suis sûre que Christine a compris. Tu sais, je lui ai souvent dit qu'il fallait toujours dire la vérité à sa Maman, que cela ne faisait qu'empirer les choses de faire des cachotteries, et là en est bien la preuve..."
J'acquiesçai encore : "Oui, Tata, je sais, je me souviens". Même si les exemples qui me revenaient n'étaient pas concluants à mon sens.
Je sentais bien que cette histoire de mensonge, de bêtise cachée durant trois jours, était ce qui mettait le plus en rogne Maman. Mieux valait tenter de changer de sujet, ne pas relancer, espérer que Tata n'en rajoute pas. Mais, c'était mission impossible...