vendredi 11 mars 2016

Chronique d'un redoublement : 98. Une soirée d'angoisse et une nuit perturbée

SUITE 97

J'enrageais intérieurement. S'il n'y avait pas eu cette répétition de danse, Diane n'aurait pas su, et les deux jours sans classe du week-end m'auraient laissé de la marge pour trouver le moment adéquat pour aborder le sujet... Je pensais bien ne pas trainer pour en parler, de peur justement de rencontres fortuites, mais je gardais quand même une certaine latitude...
Hélas, là, la donne n'était plus la même du tout. Diane savait et je n'avais aucun moyen de lui faire tenir sa langue, du moins un certain temps.
Avec Aline, j'aurais pu jouer sur la compassion, lui promettre de l'aider en douce à faire ses devoirs, mais avec Diane, c'était mission impossible, et je me demandais même si elle réussirait à tenir sa langue jusqu'au lendemain matin...
Maman allait rentrer dans guère plus d'une heure et j'imaginais pouvoir lui faire croire que la maisonnée était endormie. Je ferais semblant du moins, dans l'espoir d'éviter toute discussion qui pourrait mal tourner...
Je me mis donc en pyjama sans tarder, et j'éteins les lumières superflues, pour ne laisser qu'une lampe allumée dans le couloir et ma petite lampe de chevet.
Je n'essayai même pas de lire une bande dessinée pour me changer les idées. Je n'arrivais pas à penser à autre chose qu'à ces heures de colle, et à la transmission expresse de la nouvelle, via les petites soeurs et une Corinne que la situation devait amuser...


Allongée sur mon lit, je n'arrivais à penser à rien d'autre
qu'à ces heures de colle que je ne pourrais cacher longtemps...
Diane le savait déjà, et il allait falloir l'avouer à Maman,
en sachant bien ce qui m'attendait... 

J'espérais que Diane, fatiguée par les répétitions, s'endormirait bien vite mais, dans la maisonnée vide et silencieuse, je l'entendais se tourner et se retourner...
"Christine, Christine, est-ce que tu dors ?", demanda-t-elle. Je répondis que presque et qu'il fallait qu'elle s'endorme aussi. Elle répliqua : "Oui, oui, mais, euh, Christine, dis, pourquoi elle t'a collée, la prof d'anglais ?".
 Je rétorquai : "C'est pas important, dors donc !" Mais soeurette revint à la charge : "Dis-le moi, Christine. Promis, je ne le dirai pas à Maman". 
Je sentais qu'elle insisterait jusqu'à ce que je cède, et je répondis évasivement : "Bah, c'est juste que j'ai parlé trop fort pendant le cours".
Diane réfléchit un instant, puis lança : "C'est donc encore du bavardage... Maman ne va pas aimer du tout... Ca va te chauffer les fesses, c'est sûr..."
Je tentai de minimiser et de la faire taire : "On verra bien, Diane. Elle ne se fâchera peut-être pas autant. Allez, tais-toi, je voudrais dormir..."
Diane consentit à se taire, non sans rajouter sa petite prédiction : "On verra bien, mais moi je te dis que Maman va te donner encore une grosse fessée..."
Cela me tira presque des larmes, tant je n'aimais pas que Diane se mette à jouer les voyantes, car hélas ma petite soeur avait (presque) toujours raison. Et, dans le cas présent, moi-même j'aurais parié pour la même issue... Du moins avais-je la quasi-certitude que, même si je trouvais le moment idéal pour avouer ma colle, je ne m'en tirerais pas sans une déculottée maison...


Diane venait de me promettre un avenir cuisant,
en prédisant que Maman allait me donner "encore une grosse fessée" !
J'en sanglotai dans mon lit, cachant vite mes larmes,
émue et persuadée qu'hélas soeurette avait "encore" raison...  

Je m'interrogeai en me tournant et retournant à mon tour dans mon lit. J'hésitais presque à me libérer le soir-même. Avouer m'aurait enlevé un gros poids, mais c'était donner raison à Diane, et surtout à Babette et Brigitte qui étaient, elles aussi, si sûres que je ne finirais pas la journée sans plonger en travers des genoux maternels...
Alors, gagner une nuit, voire un peu plus, c'était ma petite satisfaction secrète, mon petit péché d'orgueil, ma démonstration que j'avais un tant soit peu de pouvoir sur le déroulement de ma vie...
L'arrivée de la voiture maternelle me fit sursauter. Maman et Aline rentrèrent en veillant à ne pas trop faire de bruit. Mais, Diane ne dormait pas encore, et se releva pour commencer à discuter avec Aline qui se mettait en chemise de nuit.
Maman leur demanda de se coucher rapidement, non sans interroger Diane : "Alors ça c'est bien passé pendant que je n'étais pas là ?"
Percevant ce début de conversation, alors que je faisais semblant de dormir, je me suis relevée à mon tour pour veiller à ce que ma petite soeur ne parle pas trop...
Je pense que j'ai eu raison car, en arrivant dans la chambre des petites, j'entendis Diane commencer une phrase : "Euh, tu sais, euh, Maman, eh bien Christine euh..."
Je coupai la parole de soeurette en disant : "Euh, oui, Diane et moi, on a été très sages, c'est ce que tu veux dire ?"
Surprise par mon arrivée, soeurette se ravisa et préféra confirmer mes dires plutôt que de ne pas tenir sa langue et d'annoncer mon dernier exploit scolaire...
Maman n'insista pas, nous demandant de nous coucher, ce que nous fîmes avant qu'elle ne vienne nous embrasser et souhaiter bonne nuit.
De retour dans ma chambre, je poussai de grands soupirs. Je l'avais échappé belle, car j'imagine bien que si je n'étais pas arrivée, Diane n'aurait pas hésité à me dénoncer à Maman. Je comprenais donc qu'il ne faudrait pas tarder le lendemain si je voulais éviter ce que Maman aurait très mal pris...
Alors que nous étions couchées, et que Maman était redescendue se faire chauffer de l'eau pour sa tisane du soir, avant d'aller à son tour dormir, j'entendis que cela chuchotait dans la chambre des petites. Je ne comprenais pas tout, mais Diane avait le ton de la confidence, et Aline semblait la presser de questions. Ce n'était pas la peine de me faire un dessin. J'en étais sûre et certaine : Diane était en train de mettre Aline dans la confidence, et mes deux soeurs allaient s'endormir en plaignant peut-être par compassion leur grande soeur, mais en se disant sûrement qu'il y allait y avoir du grabuge le lendemain à la maison, et que Christine pouvait préparer ses fesses...


Cela chuchotait dans la chambre des petites. Je n'entendais
pas les paroles, mais je devinais que Diane devait raconter à Aline
les nouveaux "exploits" scolaires de leur grande soeur...
Et les deux gamines d'imaginer déjà
que j'allais devoir préparer mes fesses...  

En remontant, Maman devina que cela chuchotait chez les petites, et elle intervint les menaçant : "C'est bientôt fini vos messes basses ? Je ne veux plus rien entendre, sinon cela pourrait barder..." Cela calma les deux comploteuses, mais n'arrangea pas mon état de nervosité... Je n'avais aucune envie que Maman soit déjà énervée par les petites quand il faudrait que je rentre en scène...
Je me sentais toute électrique et j'eus beaucoup de mal à m'endormir, la tête peuplée d'images et de souvenirs claquants...
Par deux fois, je me suis même réveillée en cours de nuit. Les deux fois, j'allai sans bruit faire pipi, sans en avoir vraiment envie, mais comme pour me détendre les jambes. La seconde fois, c'était le milieu de la nuit, et je repassai par la salle de bain pour prendre un verre d'eau au robinet et boire deux ou trois gorgées, ayant le gosier sec, de par l'émotion.
Même si j'avais essayé de ne pas faire de bruit, mon manège avait été repéré par Maman, toujours aux aguets, même en dormant, comme toute mère attentive.
Je la vis arriver dans la pénombre, et elle alluma la petite lampe du couloir : "Ca ne va pas, Christine ? Tu es malade ?", s'inquiéta-t-elle. Je répondis que non, que j'avais juste soif, mais mes mots étaient hésitants et Maman remarqua mon trouble. "Il y a quelque chose qui ne va pas, ma grande ? Dis-le à Maman !" insista-t-elle. Je bafouillai : "Euh, bah, euh, non, euh, enfin, euh..." J'étais à deux doigts de lâcher le morceau, d'éclater en sanglots et de tout avouer, pour me soulager...
Mais, Maman qui savait comme lire dans mes pensées, reprit la parole : "Bon, je vois bien que tu as encore une mauvaise nouvelle à m'annoncer. Tu as ta tête des mauvais jours, Christine. Mais, on ne va pas discuter à 2 heures du matin. Allez, file au lit, il sera bien temps d'en parler demain matin. Je ne veux pas savoir ce que tu n'as pas osé me dire ce soir en rentrant du collège, mais j'espère que tu auras de bons arguments, sinon ça va très mal aller, tu sais..."    
Je ne pus retenir un gros sanglot, mais Maman m'attira contre elle, me serra un instant, puis me prit par la main pour me ramener dans mon lit.
Je me laissai faire, Maman agissant avec une douceur contrastant avec mes craintes. Elle me reborda, et je débutai une phrase : "Euh, Maman, tu sais, je, enfin, j'ai..."
Mais, elle me mit son index droit sur ma bouche, en disant : "Chut, ce n'est pas le moment, Christine. Il est l'heure de dormir. On ne va pas réveiller tes soeurs. Bonne nuit et à demain matin, on aura tout le temps de régler nos petites affaires..."


Maman avait compris que j'avais une mauvaise nouvelle à lui annoncer.
Mais, ce n'était pas le moment, en pleine nuit, pour les explications...
Le doigt sur la bouche, elle me fit taire, remettant la discussion
au lendemain matin, non sans laisser entendre
que cela risquait fort de très mal aller... 

Puis, Maman quitta ma chambre, en soupirant : "Ah, tu m'en auras fait voir, toi..." Un commentaire qui montrait qu'elle avait bien conscience que ce que j'avais à dire ne serait pas une bonne nouvelle...
Emotionnellement remuée par ce moment étrange, par ce demi-aveu qui n'en était pas un, par ce calme maternel et la sensation, une fois encore, qu'elle lisait dans mes pensées, je plongeai dans le sommeil, épuisée.
Les quelques mots de Maman, même s'ils n'étaient pas explicites, tournaient dans ma tête. Elle n'avait pas voulu savoir la raison de mon trouble, mais avait déjà bien noté que je n'avais donc "pas osé" lui dire en rentrant du collège, ce qui revenait déjà à rajouter une notion de mensonge et de dissimulation à ses reproches.
Elle avait aussi, et la phrase me revenait sans cesse, ajouté que ce n'était "pas le moment de discuter", que l'on "réglerait nos petites affaires" le lendemain matin, et que l'on n'allait "pas réveiller" mes soeurs...
Rien n'était vraiment dit, mais tout était suggéré... Je savais ce que "discuter" pouvait vouloir dire, comme je n'ignorais pas la manière maternelle de "régler nos petites affaires". Bien sûr, j'aurais pu finir ma phrase d'aveu, quand elle m'a mis le doigt devant la bouche, et ces mots je les aurais prononcés à voix basse, à voix craintive... Donc, sans que cela ne puisse sûrement "réveiller mes soeurs..."  Mais, si Maman avait évoqué ce possible "réveil" d'Aline et Diane, c'est bien qu'elle pensait au delà de l'aveu que j'allais faire, à ce que cela me vaudrait immanquablement...


Je n'avais pas encore annoncé la teneur de la nouvelle à Maman,
mais elle savait déjà que je lui avais cachée au retour du collège... 
Ce qu'elle ne manquerait pas de me faire payer...
Mes soeurs, elles, allaient guetter la suite...
Chacun comprendra que mes cauchemars de cette nuit
m'entrainèrent sur les genoux maternels
pour des déculottées en quelque sorte prémonitoires...   

Alors, on imagine aisément que mon sommeil fut peuplé de cauchemars... Quelque part, Brigitte et Babette n'avaient pas eu raison en me prédisant une fessée du soir même, mais dans la maisonnée, chacun y pensait déjà. Diane et Aline savaient pour ma colle, et étaient presque pressées d'être déjà à demain. Maman, elle, avait deviné qu'il allait encore falloir "s'occuper" de son ainée et se motivait déjà pour que la leçon soit exemplaire...
Et, moi, je me voyais à l'avance devoir aller vers Maman, devoir annoncer la nouvelle, en ne doutant plus une seule seconde qu'une tannée magistrale marquerait ce fichu samedi...


A SUIVRE