Durant les jours qui suivirent cette fessée déclenchée par mon coup de pied donné en douce à Diane, et par l'intervention de la jeune vendeuse de la boulangerie, paradoxalement, c'est vrai que je me sentais plus libre au collège.
A la maison, ma mésaventure restait dans les mémoires. Quelques gifles étaient bien tombées pour de petits griefs reprochés à mes soeurs, mais la dernière référence en matière de "bonne fessée" demeurait celle que j'avais reçue...
Et, comme le fait d'avoir plus ou moins "maltraité" soeurette avait été un élément déclenchant, les petites en profitaient pour se plaindre dès que j'étais dans leurs parages, m'amenant à m'isoler dans ma chambre.
Même le chemin du collège au quotidien qui me faisait repasser devant la boulangerie, continuait à me faire ruminer de mauvais souvenirs.
Quelques notes plutôt correctes obtenues les jours suivants contribuaient à me faire me sentir à l'aise. Maman aurait toujours voulu mieux en raison de mon redoublement, mais du moins ces notes au dessus de la moyennene me valaient-elles pas d'engueulades maison.
Le souci, c'est qu'une Christine qui prend confiance est une Christine qui relâche son attention, qui se croit au dessus des consignes élémentaires de discipline. Ainsi, un peu plus de deux semaines après l'épisode de la boulangerie, contente d'un 13 sur 20 à une interro de maths, j'ai passé une bonne partie du cours à chuchoter avec ma voisine, à tenter d'amuser la galerie quand la prof était au tableau, puis à rêvasser, le regard vers la fenêtre au lieu de suivre une leçon, dont il est vrai, à mon corps défendant, que je l'avais déjà bien acquise l'année précédente.
Mais ce genre d'attitude est du genre à énerver une prof, surtout si l'élève semble ne pas prendre au sérieux ses deux premières remarques sans frais.
"Christine, puisque vous aimez tant parler derrière mon dos, vous viendrez le faire pendant deux heures de colle !". La sentence tomba de la bouche de la prof de maths avec un ton très pince sans rire qui provoqua l'hilarité générale. La seule à faire la grimace était moi, et je tombai de haut, comprenant que cela allait m'attirer assurément de gros ennuis à la maison...
Je tentai, à la fin du cours, de demander à la prof de revenir sur sa décision, mais elle était déjà en train de remplir le bulletin de colle que le secrétariat du collège enverrait à la maison par la poste.
"Ecoutez, Christine, ce n'est pas la première fois que je vous demande de ne pas déranger le cours. Ca suffit, et je pense que ces deux heures de colle vous feront réfléchir...", conclut la prof suite à ma requête suppliante.
Non seulement, elle confirmait ces heures de colle, mais je la vis remplir la case motif du bulletin de colle ainsi : "Bavarde au lieu de suivre le cours, et chahute derrière le dos de son professeur". Voilà quelques mots qui n'allaient certainement pas manqué de faire réagir Maman, j'en avais bien conscience...
En tout cas, cette annonce mit un terme à ce sentiment de liberté que je ressentais en classe depuis quelques jours. C'était une tuile qui me tombait sur la tête, et mes angoisses franchissaient à nouveau le mur du collège, la peur de la fessée me rattrapait jusque-là !
J'étais sonnée, mentalement groggy, et j'eus du mal à cacher mon trouble durant les deux heures suivantes de cours.
Sur le chemin de la maison, une petite voix raisonnable me suggérait dans la tête de parler à Maman le soir-même. Il y avait ces heures de colle qui la fâcheraient, mais aussi ce 13 sur 20 dans la même matière qui pouvait, peut-être, inciter Maman à la clémence...
Le passage devant la boulangerie raviva mes souvenirs cuisants... Bien sûr pour l'instant, Maman n'était pas au courant, n'avait donc rien annoncé, et boulangère et vendeuse ne pouvaient se douter de rien, mais je savais que le chemin qui me restait à faire vers la maison était le même que quinze à vingt jours plus tôt et, que ce soit ce soir ou lors de l'arrivée du bulletin de colle par la Poste, j'avais bien conscience qu'il y avait de fortes probabilités pour que ce chemin soit celui qui allait m'amener sur les genoux maternels...
Ne rien dire, c'était faire passer mes chances d'échapper à la fessée de très peu à zéro, me rappelait pourtant la voix de la raison. Mais, ne rien dire, c'était aussi gagner du temps, passer une soirée calme, et ne pas se coucher la lune écarlate, répondait la voix d'une certaine prudence. D'autant qu'il peut arriver qu'une enveloppe se perde, que le téléphone soit en panne et que Maman ne rencontre personne... Certains gagnent bien au loto, non ?
J'arrivai à la maison deux minutes avant que Maman ne rentre avec mes soeurs qu'elle était allée chercher à l'école. Cela m'avait laissé le temps de poser mon cartable, de sortir mes devoirs, et la copie de maths, dont le 13 sur 20 était assorti d'un commentaire : "Notions bien assimilées, un résultat encourageant".
La petite voix de la raison reprit le dessus. Je me dis qu'il n'y avait plus à tergiverser, et je descendis les escaliers, la copie à la main, décidée à "vendre" le paquet "bonne note plus colle" avec demande de clémence et mille promesses de ne plus recommencer à la clé. Pour une fois, je prenais le risque, sachant bien que c'était maintenant ou jamais... Je me connaissais et savais que si je commençais à jouer la montre, j'aurais tendance à aller jusqu'au bout, jusqu'au moment où je serais devant le fait accompli...
J'y allais donc. Pour une fois. Pas rassurée, les jambes en compote, mais j'y allais quand, pénétrant dans la cuisine, je me retrouvai face à Maman qui sermonnait Aline...
Elle haussait le ton : "Elève dissipée, élève dissipée, ce n'est pas moi qui le dit Aline, c'est ton institutrice. Je veux bien pardonner quelques notes décevantes, si je vois que tu travailles consciencieusement, mais pas question de tolérer que tu ne sois pas attentive en classe. J'en ai assez, Aline ! Ca ne va pas se passer comme ça, tu sais".
Ma soeur baissait la tête, en pleurnichant. Maman avait, sans nul doute, croisé la maitresse d'Aline à la sortie de l'école et les nouvelles semblaient ne pas avoir été flatteuses pour ma soeur, déjà souvent à la peine au plan de l'apprentissage, et pour laquelle (comme pour toutes ses filles d'ailleurs) les manques en matière de discipline étaient jugés d'autant plus impardonnables par Maman.
Je répondis, par réflexe : "Non, non, rien de grave, Maman. Promis. Je, euh, je voulais te montrer mon interro de maths, et, euh..." Maman avait déjà la copie en main avant que je ne poursuive la phrase.
Je dûs me résoudre à faire demi-tour, et à remonter dans ma chambre, alors que Maman poursuivait sa "discussion" avec Aline qui, en fait, ne disait pour sa part pas grand chose, hormis quelques dénégations assorties de promesses d'être sage, histoire de ne pas énerver davantage Maman.
Je tendais l'oreille depuis le palier pour ne rien perdre de la conversation. Diane, elle, s'était mise à lire assise sur le canapé du salon, d'où elle devait aussi écouter ce qui se passait.
La cause était entendue : cela allait barder pour Aline. Maman lui demanda d'arrêter de chouiner : "Je vais te donner une bonne raison de pleurnicher. Allez, file dans ta chambre. Je range les courses et je vais venir t'apprendre ce qui arrive aux écolières dissipées..."
Aline ravala deux gros sanglots et gagna l'escalier. Je me reculai dans ma chambre, sans fermer la porte et je vis passer ma soeur, le visage défait, tête basse, dans une attitude qui devait bigrement ressembler à la mienne, le soir de l'épisode de la boulangerie. Juste avant que je sache que je serais collée, j'aurais vécu ce passage d'Aline avec un petit sentiment de revanche, une compassion amusée, et la satisfaction que ce soit son tour. Mais, dans ma situation de chahuteuse punie dont la mère n'est pas encore au courant, je ne pouvais m'empêcher de penser que la prochaine qui serait en mauvaise position, ce serait assurément moi...
Maman avait ramené un cabas de courses faites avant d'aller chercher les petites, et des bruits de placard et de réfrigérateur témoignaient du fait qu'elle devait les ranger.
Diane la curieuse rejoint Maman en prétextant une petite soif. Maman lui servit une orangeade, confirmant à sa benjamine que la cadette de ses filles allait "recevoir ce qu'elle méritait".
Maman remplit à nouveau le verre de Diane, avant de remettre la cruche dans le frigo, et de laisser ma soeur boire en disant : "Tu ferais bien de réviser ta récitation pendant que tu es tranquille. Je regarderai tes devoirs tout à l'heure. En attendant, je vais aller régler mes comptes avec Aline..."
Aline se morfondait assise sur son lit, ayant du mal à sécher ses larmes, et sursautant en entendant Maman monter...
Ce n'est pas vers moi que Maman montait, mais j'étais toute ouïe, tremblant presque à ce pas qui se rapprochait. Je me mettais à la place de ma soeur et j'en avais le coeur qui accélérait... le bas du dos qui frissonnait...
Maman n'avait pas laissé mijoter Aline comme elle le faisait avec moi, mais chacune de ces courtes minutes m'avaient rappelé la situation semblable, mêlant le souvenir de la dernière fessée reçue, à une peur déjà de la fessée prochaine...
Maman n'avait pas refermé la porte de la chambre des petites derrière elle, et j'étais, sans avoir une vue directe pour autant, aux premières loges auditives de ce qui se passait. Tout comme mes soeurs l'avaient été (et le seraient sûrement bientôt).
Les supplications vaines de ma soeur, l'ultime et court sermon maternel qui justifiait la fessée à venir par la gravité, de l'avis maternel, qu'il y a à ne pas écouter les cours, à perturber la classe, autant de griefs qui renvoyaient à ce qui allait être les motivations de mon prochain bulletin de colle, je ne manquais rien de la "discussion". Puis, il y eut les bruits de mise en position, de semi-résistance, de menaces qui font céder la punie, et, même si ce ne fut sûrement qu'une illusion, j'eus l'impression que j'entendais la culotte glisser et dévoiler deux fesses blanches...
Les images me venaient, presque comme si j'avais été témoin direct de la scène à côté de Maman.
Aline criait déjà avant que la première claque ne tombe, là où moi, sauf à être certaine que personne n'entendrait, je serrais les dents et tentais d'étouffer mes cris le plus longtemps possible.
Le "cinéma" d'Aline n'impressionnait pas Maman qui s'employa à donner à sa dissipée de cadette une "bonne fessée". J'imagine bien que la "dose" pour sa petite lune d'encore gamine, était moins longue, moins forte, moins savamment appliquée que ce la pré-adolescente à la peau plus aguerrie et à la mappemonde plus généreuse pouvait recevoir, mais vu, ou plutôt entendu, d'une oreille attentive qui pense très fort que son tour viendra, j'avoue que cette fessée marquait mon esprit, et que j'en aurais presque compté chaque claque en imaginant qu'elles me seraient bientôt destinées, et avec une tout autre énergie assurément...
Quand Maman aurait le bulletin de colle en main, ce serait une autre histoire... Ce serait alors les vrais acteurs, avec les vrais costumes, le vrai public, et la version intégrale du prochain épisode de "Christine a mérité une bonne fessée" !
A entendre le bruit mat des la paume maternelle sur les fesses de ma soeur, je comprenais que dans cette pièce, l'autre actrice principale, à savoir Maman, elle savait déjà parfaitement son rôle, et qu'elle le jouerait comme toujours de façon magistrale, alors qu'à l'audition de cette simple répétition, le trac me prenait les tripes, en comprenant combien mon rôle à moi serait encore plus difficile à tenir, même si en la matière, j'avais nombre de "représentations" à mon actif...
J'aurais voulu prendre le rôle du metteur en scène de nos vies, entrer sur le plateau, féliciter Maman et Aline, et dire : "La scène suivante devait être jouée par Christine, mais comme Aline a bien tenu son rôle, ce sera encore elle qui jouera la prochaine fois".
Hélas, je ne suis pas metteur en scène, et ne peut changer le cours du destin. Les remarques agacées d'une institutrice venaient de valoir une déculottée de gamine à une écolière. Le bulletin de colle dénonçant l'indiscipline d'une collégienne, qui plus est récidiviste en la matière, demandait un traitement plus conséquent qu'une fessée de fillette. Le discours maternel, sa détermination, son raisonnement sans faille, et l'efficacité de sa dextre claquante, imposaient que je tienne prochainement mon rôle, pleinement !
Rien que d'y penser, j'en regrettais amèrement mon attitude en cours, et j'en frissonnais d'angoisse...
A SUIVRE