vendredi 15 juillet 2011

Le beau temps ne dure pas éternellement... (6) L'orage est annoncé

SUITE 5

Allez, Christine, quand il faut y aller, il faut y aller... J'essayais de me motiver avant d'aller affronter Maman...
Ne pas me montrer était risquer de l'inquiéter, de l'énerver davantage. De toute manière, il n'y avait plus de suspense. Le feutre cassé en évidence sur mon bureau, le linge souillé qui trempait : ma grosse bêtise avait été découverte. C'était pour l'instant comme une histoire sans parole, mais je ne pouvais plus espérer échapper à l'explication, n'ayant pas réussi à faire disparaitre ces preuves, dont la disposition bien en évidence me désignait sans coup férir.
Je suis quand même allée voir dans la salle de bain le linge qui trempait, essayant de constater si les taches s'étaient estompées. J'ai même tenté de frotter un peu, mais sans résultat : pour indélébile, le feutre l'était vraiment. Certes, la tache rougissait légèrement l'eau savonneuse, mais l'encre était bien imprégnée au coeur des fibres, et ne disparaitrait pas...
Autrement dit, à part la solution de tout teindre en rouge ou en plus foncé, c'était fichu, foutu, et j'en connaissais une qui devait être furax...



Je me décidai enfin à aller au devant de Maman qui se trouvait au jardin avec mes soeurs. Elle était en train d'étendre du linge à sécher.
"Tiens, te voilà, Christine. Tu n'es pas en avance, ce soir. Tu sais que je n'aime pas que tu traines sur le chemin du retour.", me lança Maman en me voyant arriver.
"Euh, bah, non, je n'ai pas trainé. Non, M'man, j'ai peut-être marché un peu moins vite, c'est tout. Euh, je peux prendre mon goûter ?", dis-je en feignant l'innocence.
Maman rétorqua : "Oui, ton goûter est sur la table de la cuisine. Va le manger, et nous aurons à parler ensuite... Ah, Christine, Christine, c'est étonnant comme tu n'es pas pressée de rentrer certains jours... Surtout quand je suis pressée de te revoir, moi..."
Je fronçai les sourcils et fis la moue : "Euh, que veux-tu dire, Maman ?"
Elle répliqua : "Tu dois bien le savoir. A voir ta mine, ma fille, je pense que tu es déjà passée dans ta chambre et que tu as compris que j'avais trouvé le résultat de tes bêtises..."
Aline et Diane qui mangeaient leurs BN et buvaient leur verre de lait, assise à la table de la terrasse, écoutaient ce dialogue avec attention. Elles avaient stoppé leur conversation dès que j'étais apparue. Sûr que Maman avaient dû montrer qu'elle m'attendait de pied ferme.
Je n'avais pas envie de prolonger l'échange ainsi devant elles. Je rétorquai : "Bah, oui, j'ai été posée mes affaires dans ma chambre. Et je, euh, j'ai vu, euh, je t'expliquerai, M'man, tu sais, euh, je ne l'ai pas fait exprès..."
L'expression m'était sortie de la bouche comme un réflexe, comme le "c'est pas moi" ou le "c'est pas de ma faute" fusaient parfois, quitte à nier l'évidence, et signe de mon trouble profond.
C'était un réflexe de gamine, et je savais que Maman supportait mal ce genre de manière de me défausser. Elle le confirma : "T'expliquer, t'expliquer. Je ne suis pas sûre qu'il y ait grand chose à expliquer, Christine. C'est plutôt moi qui vais te donner une explication à ma manière. Et sur tes fesses, ma fille".
Des larmes me sont montées aux yeux en entendant ce que pourtant je m'attendais à entendre.
"Oh, non Maman, pardonne moi. J'ai juste pas fait exprès de casser le feutre. J'ai pas fait attention, et j'ai marché dessus.", répondis-je avec une petite voix implorante.
Elle haussa le ton : "Je veux bien te croire, Christine, que tu n'as pas fait exprès. Mais, si au moins tu m'avais prévenue sur le champ, si tu m'avais simplement montré le short taché, au lieu de cacher ta bêtise dans le panier à linge". 
Je marmonnai : "Bah, euh, oui Maman, j'aurais dû, mais j'avais, euh, peur que tu te fâches..."
Maman s'emporta : "Et voilà, tu as tout gagné, Christine. Ton feutre a taché toutes les affaires qui se trouvaient à côté, et elles sont fichues, irratrapables. Alors, oui, ma chérie, tu avais raison de craindre que je me fâche, mais dans ces conditions-là, ce n'est pas un peu que je vais me fâcher... Je vais te flanquer une fessée dont tu te souviendras longtemps, crois-moi..."
C'était donc dit et redit devant mes soeurs, et je ne pouvais rien répliquer tant j'avais conscience que le raisonnement maternel était imparable.
J'ai tourné les talons et suis rentrée dans la cuisine, en pleurnichant. Mon goûter était sur la table, je m'y suis assise et j'ai commencé à manger, sans appêtit, la gorge nouée. J'aurais pu aller le manger sur la table de la terrasse, mais cela aurait signifié affronter le regard de mes soeurs, et je ne m'en sentais pas capable. Je ne le voulais surtout pas... Surtout pas !   

A SUIVRE

6 commentaires:

  1. La suite est attendue et sans surprise. Maman a pris par la parole le relai de ces "témoins muets" que constituaient le feutre cassé mis en évidence et les habits mis à tremper. La fessée crainte est clairement annoncée, devant les petites sœur qui comme il fallait s'y attendre ne masquent pas leur jubilation, et les protestations maladroites et éculées de Christine se heurteront à l'implacable et rigoureux bon sens maternel. Il ne reste plus à notre héroïne qu'à préparer ses fesses pour une correction magistrale dont je me réjouis de lire le compte rendu.
    Si vous me permettez une allusion littéraire (car je m'en voudrais de verser dans le pédantisme), je dirai que la mécanique de ce récit me fait penser à celle de la tragédie, en ce que la fin malheureuse est aussi prévisible qu'inéluctable. J'applique à votre narration ces commentaires que le dramaturge Jean Anouilh met dans la bouche du chœur, à la fin du premier tableau de son Antigone :
    « Et voilà. Maintenant, le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul. C'est cela qui est commode dans la tragédie. [...] On est tranquille. Cela roule tout seul. C'est minutieux, bien huilé depuis toujours. [...] C'est propre, la tragédie. C'est reposant, c'est sûr… [...] Dans la tragédie, on est tranquille. [...] Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir [...] Et il n'y a plus rien à tenter, enfin ! »
    A ceci près que, loin de se terminer par un bain de sang, vos tragédies à vous se concluent, non par un baisser de rideau, mais un baisser de culotte sur les genoux maternels. Ainsi, même si selon ce principe dramaturgique le suspense n'est plus de mise, c'est avec une convoitise non dissimulée que j'attends le dénouement de ce récit.

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  2. Convoitise, vous y allez fort... J'espérais un rien de compassion, d'attendrissement, de soutien, face au sort qui semble scellé pour le bas de mon dos...

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  3. Une nouvelle et grossière faute d'orthographe à mon actif : "relais" sans le "s" ! Avant de me lancer dans de la pompeuse paraphrase littéraire, je ferais mieux de veiller plus strictement à des dimensions plus terre à terre de mon expression écrite.^^
    Vous en aurez, de le compassion, Christine, mais une fois la correction terminée, puisque pour l'heure, de toute façon, et comme vous le signalez vous-même, rien ne paraît en mesure d'arrêter la mécanique inéluctable du destin.

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  4. J'en aurai de "le" compassion, comme dit Mardohl, qui décidément tape trop vite, hihi...
    J'aurais quand même bien voulu un mot gentil pour me dire que ce n'est qu'un mauvais moment à passer, que je n'en mourrai pas, et que mieux vaut subir les foudres maternelles maintenant que d'angoisser encore comme je le fais depuis ma bêtise faite...

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  5. Ha la la Christine, je vous ressemble : désirant réparer ma faute en soulignant une coquille, je ne parviens qu'à en commettre une deuxième ! Comme je vous l'ai déjà fait savoir, en raison de l'absence de l'option « éditer » pour les commentaires de votre blog, les fautes de frappe ne pardonnent pas.
    (Sans vouloir me montrer mesquin ou revanchard, je dois tout de même vous faire savoir que, si vous êtes généralement pourvue d'un style agréable et délié, votre orthographe elle-même est loin d'être irréprochable. Avez-vous par exemple remarqué l’« angoise inavouable » mise en exergue au titre du chapitre 4 ?)
    Mais puisque vous le réclamez, je me laisse aller à un mot gentil : courage Christine, soyez stoïque et marchez les yeux grand ouverts vers le supplice. Ce n'est ni la première ni la dernière occurrence où rougira votre postérieur, et vous ne redescendrez des genoux maternels que grandie et davantage avisée. C'est par ces douloureuses expériences que se forge votre caractère et qu'à force vous deviendrez une adulte appréciable et appréciée.
    (Voilà, maintenant je me sens autorisé à lire la suite que vous venez de nous pondre.^^)

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  6. Merci du conseil : je vais aller corriger ce titre où il manque un "s". Mais pour le mot gentil, si c'est pour me dire en plus que ce n'est certainement pas la dernière fois que je me retrouve en position d'être fessée, ce n'est pas très rassurant, snif, snif...

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