mardi 28 juin 2011

Le beau temps ne dure pas éternellement... (3) Une trève dominicale, mais pas dans les pensées

SUITE 2

 J'avais finalement pu trouver le sommeil sans trop de difficultés. La perspective d'une journée chez Mamie justifiait dans ma tête le fait d'avoir renoncé à saisir les perches maternelles.
Je me disais que les habituelles conversations sur la santé et l'éducation des enfants n'auraient pas à se nourrir d'un épisode qu'aurait constitué une fessée reçue la veille au soir.
J'abordais donc cette journée dominicale de façon guillerette.


Arrivée chez Mamie, je profitai de mon statut d'ainée de ses petites-filles, de grande et plus ou moins chouchoute de ma grand-mère.
Avant même de passer à table, alors que j'avais pris place avec bonheur à côté de Mamie, l'apéritif (et le jus de fruit pour les enfants) tourna vite à quelques propos sur les deux dernières semaines écoulées sans voir ma grand-mère.
Maman admit que ses filles avaient été plutôt sages, et que ce dernier trimestre commençait bien, surtout pour Diane et Christine.
Assise en face de moi, je voyais Aline baisser les yeux et faire semblant de ne pas entendre...



Maman expliqua que "c'était plus dur avec Aline qui ne mettait pas beaucoup de bonne volonté pour apprendre ses leçons". Et d'ajouter : "C'est pourtant le trimestre où il ne faut pas se relâcher. C'est important pour ne pas risquer de redoubler".
Mamie à son habitude défendit ses petites-filles, rétorquant qu'il fallait tenir compte des capacités différentes de chacune selon les matières : "Elles ne peuvent pas être bonnes partout".
Maman le concéda, mais ajouta : "Je ne lui demande pas d'être première, mais au moins de travailler correctement chaque matière. Or, Aline a tendance à ne pas faire d'efforts là où elle est moins à l'aise. Et, ça, je ne peux pas le tolérer, tu le comprends bien..."
Mamie plaida quand même pour une certaine clémence. Maman répondit : "Etre clémente, tu en as de bonnes, pff. Je considère que je suis compréhensive quand elle a de vraies difficultés, mais pas jusqu'à admettre qu'elle abuse de ma gentillesse. Et quand il faut sévir, je fais ce qu'il faut. Une bonne fessée, il n'y a rien de tel pour qu'Aline redevienne appliquée et assidue."
Ma soeur chignait en entendant ces mots, et je me félicitais à nouveau de ne pas être dans sa situation...  
 


Le repas se passa sans trop guère d'autres allusions, et nous sommes sorties pour aller nous promener dans un parc voisin. Nous nous arrêtâmes près d'un espace de jeux, où mes soeurs allèrent jouer. J'avais commencé à vouloir faire de la balançoire avec elles, mais Aline cherchait visiblement à m'attirer des ennuis, se plaignant que je l'embêtais. Je comprenais que, vexée par les confidences maternelles qui la désignait comme l'indisciplinée au milieu de deux soeurs plus calmes (pour le moment), elle aurait bien provoqué quelques réprimandes à notre encontre Diane et moi.
J'ai saisi son jeu et pris conscience qu'il valait mieux ne pas tenter le diable, et ne pas risquer de me faire gronder pour des futilités à un moment où j'encourais des risques plus importants...
Mamie et Maman s'étaient assises sur un banc et devisaient. Je me suis installée sur le talus herbeux à quelques pas près d'elles. Sans en avoir conscience, je me remettais ainsi dans la peau de celle qui joue la grande fille sage et posée.




Mère et fille devisaient de choses et d'autres tout en ayant un oeil sur les petites. Le calme régnait et Mamie le fit remarquer : "C'est quand même agréable quand elles s'amusent gentiment. Tu vois, elles commencent à grandir tes filles. Tu n'es pas sortie de l'auberge, comme on dit, mais tu verras que le temps fait son oeuvre."
Maman dit qu'elle l'espérait en effet, mais qu'il y avait encore bien du travail en perspective.
Mamie essaya de rassurer sa fille, et me cita en exemple : "Tiens, regarde donc Christine. Elle est quand même plus calme qu'elle n'a été. Tu verras, elle te donnera de grandes satisfactions, je l'ai toujours su".
Maman modéra l'enthousiasme de Mamie qui m'avait été droit au coeur. Elle répliqua : "Oh, tu sais, il faut se méfier de l'eau qui dort. C'est vrai que ces derniers temps, Christine est moins dissipée en classe. Mais de là à penser que cela durera longtemps, je demande à voir".
Mamie insista : "En tout cas, elle est toute sage aujourd'hui".
Maman mit un bémol : "Parfois, tu sais, quand elle est aussi calme, c'est qu'elle n'a pas la conscience tranquille... Mais je te concède que depuis le début de ce dernier trimestre, cela se passe pour l'instant sans anicroche, ce qui n'a pas été souvent le cas, dans les mois précédents..."
Mamie voulait avoir raison : "Un bon mois sans grosse bêtise, c'est bien que Christine grandit. Elle est plus à même qu'Aline de comprendre combien un dernier trimestre est important. C'est bien ce que je disais".   
La réplique maternelle m'a moins plu... "Vu ainsi, tu n'as pas tort, bien sûr. Mais si Christine se tient à carreau, c'est aussi parce que, juste au début de ce trimestre, nous avons eu une sérieuse explication après que j'ai rencontré sa prof d'anglais. Et je pense que Christine n'a pas oublié la fessée qu'elle a reçue, et que cela a calmé notre demoiselle pour un moment..."



Maman s'était retournée vers moi et me scrutait du coin de l'oeil. Je me sentis rougir. Mamie comprit mon malaise et ne chercha pas à en rajouter. Avant de changer de sujet, Maman compléta son propos : "Enfin, j'aimerais te croire, mais cela ne dure jamais éternellement. En ce moment, c'est plus Aline qui me donne du fil à retordre, mais Diane est à surveiller comme le lait sur le feu. Et puis, si je suis bien contente que Christine me laisse un peu de répit, je sais trop bien ce dont quoi elle est capable. Ma grande a toutes les qualités du monde quand elle le veut bien... Sauf que le naturel revient vite au galop et qu'il faut savoir réagir.  Et Christine sait bien ce que je veux dire..."
Maman avait un petit sourire en coin en me regardant. Je me sentais gênée, vulnérable. De ma position je voyais Maman assise. Je voyais ses jambes, ses genoux. Sa main n'était pas encore à pianoter sur ses cuisses comme parfois quand elle m'y invite à venir m'allonger...
Mais, en repensant à mes angoisses, à ce que je savais et qu'elle ignorait encore, j'avais la sensation que Maman me signifiait en langage à peine codé : "Christine, prépare tes fesses, Christine, tu sais ce qui t'attend..."

A SUIVRE

3 commentaires:

  1. Nous y voilà, Christine ! Je dispose enfin d’une plage horaire à vous consacrer. Comme je vous l’avais annoncé, je vais me fendre de commentaires généraux sur vos récits.
    En premier lieu, ce que j’apprécie dans votre narration, c’est cette tendance au réalisme, qui nous fait vivre vos souvenirs « caméra à l’épaule » comme je l’avais déjà écrit.
    Si je prends cet opus par exemple, quelle finesse dans la description de cette visite familiale chez grand-maman ! Tout y est : l’apéritif, le repas en commun, la conversation familiale portant sur les deux dernières semaines et focalisée sur le comportement de la progéniture. Comme on pouvait s’y attendre, Mamie prend la défense des petites, pondérant la sévérité de sa propre fille (qui elle-même pourtant a sans doute été élevée au même régime qu’Aline, Diane et Christine), qui, elle, n’en démord pas et se justifie. Puis vient la promenade à trois générations, les propos tenus entre mère et fille sur la descendance (l’aïeule percevant le bon côté des choses face à une Madame Spaak moins optimiste) et surtout l’appréhension grandissante de la narratrice dont on se doute bien qu’elle a commis une grosse bêtise, et que les allusions maternelles ne rassurent guère.
    De même, plus globalement, vous tissez de façon convaincante le « background » de cette cellule familiale, dont on suit le quotidien. Rien n’y manque et on y croit : du matin jusqu’au soir (et même parfois pendant la nuit), vous reconstituez l’intimité de tout ce petit monde. L’existence de la narratrice ne se réduit pas aux fessées qu’elle reçoit, mais nous est exposée en contexte, ce qui ne nous les rendent que plus crédibles. Je répète : tout y est. Madame Spaak gère une bibliothèque municipale, cuisine, repasse, discute avec une voisine, les petites sœurs s’amusent dans un parc, Christine va au cinéma, suit des cours de danse, lit les BD de sa tante, bûche à l’école, rigole avec ses copines, etc. Les rituels se répètent entre le lever, les repas, l’école, les visites familiales, les courses, le coucher et tous les petits événements qui émaillent l’ordinaire d’une famille ordinaire. De même que les fabliaux nous livrent en creux l’existence habituelle des petites gens du terroir à la fin du Moyen Age, vos récits pourraient faire figure de source historique pour les futurs historiens se penchant sur le XXème siècle.
    Vous vous distinguez aussi par cette « obsession du détail » qui caractérise d’ailleurs le Nouveau Roman. Vos descriptions savent s’attarder sur la moindre bagatelle significative. Vous usez avec pertinence et efficacité de cet « effet de ralenti », voire de pause, développant à l’envi la moindre scène, le moindre geste, le moindre propos tendant à nous ramener à votre thématique générale. Rien ne vous échappe (et à votre lectorat non plus d’ailleurs). Dans ce récit par exemple, c’est le regard et le sourire en coin de Madame Spaak, lourds de sous-entendus, ou la focalisation de l’héroïne sur les genoux maternels envers lesquels elle sait avoir pris un rendez-vous inéluctable, l’évocation du pianotement de doigts sur la cuisse invitant la punie à s’y allonger. Dans le récit suivant, c’est la description exhaustive de ce petit accident de feutre indélébile. Mais ça peut aussi être l’image furtive de Diane remontant sa culotte avec une moue vexée, Christine se mordant les lèvres avant ou réajustant sa robe après une correction, Madame Spaak refermant la porte de la chambre avec conviction ou sermonnant en termes choisis la punie pendant le châtiment… Je ne vais pas multiplier les exemples, mais sachez que sur ce point, vous faites preuve d’un renouvellement remarquable : chaque fessée se distingue des autres par un jeu subtil de variations.

    RépondreSupprimer
  2. Cher Mardohl,
    Vous vous doutez bien que ce commentaire là me va droit au coeur. C'est celui d'un lecteur fidèle, d'un bon analyste, et ce sont des remarques intéressantes sur ce que j'aime à développer.
    Je vous répondrai dans le message suivant sur vos autres remarques.
    Je suis content que l'obsession du détail vous plaise. J'essaie de repenser à cette époque, de mettre aussi du sens, du contexte, de la couleur, si j'ose dire dans tout cela. Cela ne plait pas à certains lecteurs que je ne me focalise pas sur la fessée seulement, mais au contraire, c'est l'environnement, le contexte, l'évolution psychologique qui me semblent l'essentiel.
    J'espère en tout cas que, malgré ce que je vais dire dans le message de réponse à votre suite de messages, vous saurez me garder confiance et continuer à être un fidèle parmi les fidèles et un contributeur de choix, pour ne pas dire le meilleur, dis-je flatteuse, hihi...

    RépondreSupprimer
  3. Merci Christine pour ce compliment qui lui aussi me va droit au cœur. Et rassurez-vous, je ne me sens en rien lésé par les réponses que vous avez prodiguées à mes commentaires ultérieurs. Je viens d’ailleurs d'y répliquer en ayant essayé de ne pas mettre les pieds dans le plat. Pour l’heure, je serai heureux si vous continuez à accueillir mes annotations avec un enthousiasme au moins égal à celui que j’éprouve en lisant vos récits.

    RépondreSupprimer