samedi 25 juin 2011

Le beau temps ne dure pas éternellement... (1)

Le climat familial a quelques points communs avec la météo. Il alterne les moments de ciel bleu et les périodes orageuses, les coups de froid et les temps plus chaleureux. A ceci près que les saisons en question ne respectent jamais un calendrier prédéfini.
Et que, même si l'on aimerait qu'il fasse beau tous les jours, plus une accalmie dure et plus on peut craindre que le temps ne change brusquement...
C'est ce qui me trottait dans la tête en ce 21 mai printanier. Nous étions dans le jardin, mes soeurs jouaient avec une petite voisine, Maman s'occupait dans le petit carré de potager attenant au garage, à surveiller si ses plantations poussaient, à enlever quelques mauvaises herbes, à arroser ses semis.
J'avais lu un moment installée dans une chaise longue sous le cerisier, mais je n'arrivais pas à me concentrer sur ce volume de la bibliothèque verte que j'appréciais habituellement.
Alors, j'avais été faire le tour du jardin, et je m'étais assise sur le muret qui donnait sur la cour de la maison d'à côté. J'étais songeuse, perdue dans des réflexions assez contradictoires...



Et pourtant, vu d'un certain point, tout allait bien. Ce troisième trimestre scolaire était même étonnamment calme. Il y avait bien eu un "incident" la première semaine après les vacances de Pâques, mais plus rien depuis...
Peut-être m'étais-je tenue davantage à carreau ? Ou avais-je eu de la chance ? Quoi qu'il en soit, je n'avais plus récolté d'heures de colle, ni de mots à faire signer à la maison, le bulletin de fin avril (qui ne reflétait toutefois que trois semaines, puisque c'était vacances avant) avait même été fort correct, sans éclat, mais sans note catastrophique.
Maman ayant un peu de fil à retordre avec Aline, qui avait toujours plus de difficultés à apprendre que Diane et moi, j'appréciais vraiment cette accalmie, et le fait que les épisodes les plus orageux se déroulaient entre ma soeur et notre mère.

"Tu rêvasses, Christine ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette ?", remarqua Maman en passant à côté de moi pour aller chercher un produit insecticide dans la remise.
"Non, non, ça va, M'man, ça va", répondis-je à la hâte, comprenant que mon attitude pouvait paraître étrange à une mère dotée d'une sorte de sixième sens qui semble lire dans vos pensées...
Je tentai de prendre une pose moins anxieuse, car il n'était pas question qu'elle devine ce qui me tourmentait...
Ce n'était d'ailleurs pas clair pour moi non plus, car j'étais à la fois dans une certaine fierté, dans une sorte de soulagement que les jours se succèdent sans dispute, et paradoxalement dans un sentiment que tout a une fin, que le beau temps ne peut durer toujours, que plus on en profite et plus on se rapproche du prochain orage...
Le dernier en ce qui me concerne, c'était le 16 avril. Ne soyez pas étonnés que je m'en rappelle la date précise, mais c'était le jour de l'anniversaire d'Anne, une camarade de classe. Un samedi, celui de la semaine de rentrée après les vacances de Pâques.
J'étais allée chez elle pour un goûter qui avait été vraiment réussi. On s'était amusées comme des folles, entre six copines, sans les petites. Une journée inoubliable, à ceci près que, profitant que j'étais chez Anne, Maman était allée en ville faire des courses avec mes soeurs. Et elle avait rencontré ma prof d'anglais qui lui avait expliqué mes dernières frasques et son inquiétude à l'aube d'un trimestre décisif.
Quand Maman était venue me rechercher chez Anne, j'avais bien vu qu'elle n'était pas de la même humeur que moi...
A peine rentrées, mes soeurs ont été envoyées prendre leur douche, et Maman est venue dans ma chambre. En ce 16 avril, après l'anniversaire d'Anne, ce fut ma fête... Et autant j'avais ri tout l'après-midi, autant j'ai versé des larmes en recevant une fessée magistrale, une déculottée maison, hélas bien méritée...
Mais, depuis, et je croisais les doigts en y repensant, plus rien, sauf bien sûr parfois quelques menaces, voire des rappels à l'ordre, mais pour mon bas du dos, c'était le repos total et je m'en accommodais bien...
Cet après-midi, au fond du jardin, j'y repensais. Nous étions le 21 mai, cela faisait donc cinq semaines exactement que je ne m'étais plus retrouvée sur les genoux maternels...
J'espérais que cela puisse durer encore des jours et des jours, j'aurais bien pensé des semaines et des semaines, des mois et des mois, mais j'étais réaliste et méfiante. Surtout qu'avec le temps, les petites alertes avaient tendance à donner l'impression qu'il y avait une sorte de vase qui, un jour, bientôt peut-être, allait "déborder" comme on dit... Avec aussi l'impression que, dans ce genre de situation, un motif qui aurait peut-être été pardonné au lendemain d'une bonne déculottée, le serait moins après une longue période sans la moindre fessée...
A vrai dire, ce n'était pas tant le nombre de jours de calme, que je pouvais compter du fait que je me souvenais de la date précédente, qui me faisait penser et repenser à cela. A vrai dire, ce qui me souciait, c'était autre chose, c'était une angoisse montante, une inquiétude due à quelque chose que Maman ignorait. Du moins qu'elle ne savait pas encore...

A SUIVRE

2 commentaires:

  1. Cette retraite vous a été profitable, Christine. Je me languissais de votre plume, je craignais que vous l’ayez définitivement posée, et en cette fête de Saint Jean Baptiste, vous nous servez une perle de votre cru, comme toujours entre tradition et innovation.
    Par où commencer ? Par cette photo si bien choisie nous croquant sur le vif une jeune fille court mais sagement vêtue, mi-rêveuse, mi-craintive, et par-là même terriblement touchante, mêlant dans son expression et sa pose grâce et vulnérabilité ? Ce cliché restituant avec ampleur et acuité la teneur de vos propos ?
    J’aurais tôt fait, alors si je rabâchais l’aspect traditionnel ? C’est encore et toujours « l’effet de réel » que vous savez si bien susciter, qui emporte mon adhésion. Flaubert en trois phrases nous replongeait dans les faubourgs de l’antique Carthage, vous-même en quelques mots vous nous faites revivre cet après-midi printanier. Maman jardine, les petites jouent, notre héroïne est plongée dans une Bibliothèque verte (détail qui permet approximativement de dater tout à la fois l’époque de la scène ainsi que l’âge de Christine). On croirait entendre bruisser les feuilles du cerisier, sentir l’odeur de renfermé dans la remise où Madame Spaak va chercher de l’insecticide.
    Cette opposition aussi, entre les moments de joie et de peine traversés par Christine, immuables aléas d’une existence somme toute bien commune, alternant rires et larmes. Evocation analeptique d’un goûter d’anniversaire entre copines (chez la récurrente Anne), d’une parenthèse hors contrôle maternel, hélas refermée au bercail par une fessée méthodique.
    Mais je m’étalerai essentiellement en fait sur la dimension « inattendue » de ce texte. Ainsi, pour la première fois, vous faites intervenir des dates précises. Mais oui, Christine date son dernier rendez-vous sur les genoux maternels, correspondant à l’anniversaire de Anne, et du coup fait le décompte de ses « jours de blanchissage » pour parvenir, en ce 21 mai, à un total exceptionnel de cinq semaines. Gageons que bientôt, les compteurs vont revenir à zéro.
    Là où vous innovez également, c’est en nous taisant la raison exacte du malaise de Christine. Narrativement, vous pratiquez ce que les linguistes appellent une « paralipse », définie par Gérard Genette comme « l'omission d'un des éléments constitutifs de la situation, dans une période en principe couverte par le récit ». Qu’a-t-elle donc commis de répréhensible qui lui fait craindre pour son postérieur, notre petite écervelée ? Vous ne nous laissez que de vagues indices. Quelque chose « que maman ignore »… Nous en serons réduit à ronger cet os avant que le prochain épisode ne nous dévoile le pot aux roses.
    Je m’arrête là pour l’instant, mais je vous écrirai prochainement un commentaire d’ordre un peu plus général, portant sur l’ensemble de votre production plutôt que sur un item particulier.

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  2. Retraite, vous y allez fort... Une petite pause, beaucoup beaucoup de travail, et l'explication est là.
    Merci de ce commentaire, une fois encore de haute tenue. Avec une analyse littéraire en prime et des détails qui montrent combien vous suivez mes récits.
    J'en suis flattée et ravie.
    Les jours précis, c'est effectivement un détail marquant. Le fait que l'anniversaire de ma copine ait eu des prolongations claquantes pour mon postérieur datait précisément la scène. Je raconte souvent des fessées "mémorables". Là, la date l'était aussi. Avec des chiffres, comme d'autres souvenirs sont associés à un premier jour de vacances, à un surlendemain de Noël, à un déjeuner de famille chez Mamie, à une saison, à un séjour à la mer.
    Ici, c'est mon côté plutôt à l'aise en maths (comme en français) qui ressurgit peut-être. Mais, l'aspect décompte de la période de blanchissage, comme vous dites, ou plutôt de non-rougeoiment, est ressorti naturellement dans mon récit.
    Quant au motif, j'ai fait exprès, bien sûr, de ne pas le divulguer (quitte à attendre encore un épisodes ou deux, pour vous faire languir), car dans ce que je veux exprimer, ce n'est pas l'essentiel. C'est le cheminement de ma crainte, de mon angoisse montante, de ce que j'imagine m'attendre, qui est important.

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