mardi 31 mai 2011

Un accueil glacial pour un retard doublé d'un mensonge... (1)

J'avais dû bagarrer ferme pour obtenir de Maman que j'aille au cinéma ce soir-là, mais comme le film parlait d'Egypte et de Cléopâtre, et que la prof d'histoire nous avait recommandé d'aller le voir, j'avais réussi in extremis qu'elle me laisse y aller avec Anne, une copine de classe qui habitait à trois rues de notre maison.
La consigne était de rentrer dès la fin du film bien sûr, mais nous avions plein de choses à nous dire, entre Anne et moi, à propos des profs, et aussi du cours de danse où elle allait depuis peu, et que j'aurais bien aimé fréquenté l'année suivante. Il était plus moderne que celui auquel j'allais, mais Maman estimait que le mien était plus sérieux et mieux fréquenté.
Nous avons donc papoté sur le chemin du retour, et nous nous sommes même arrêtées au coin de ma rue, à vingt mètres de la maison, pour continuer à parler.
Quand Anne a regardé sa montre, on s'est rendues compte que la séance était finie depuis une heure et que nous étions encore dehors. Nous nous séparâmes donc et je rentrai sans faire de bruit, sachant mes soeurs au lit.




Je pensais que Maman devait être aussi dans sa chambre, en train de lire, comme elle aimait à le faire. Mais, il y avait de la lumière dans le salon...
J'entrai et me retrouvai en face de Maman qui était assise sur un fauteuil, déjà en tenue de nuit, une tasse d'infusion à la main, et le regard noir...
"Où étais-tu donc ? Tu as vu l'heure ? Je me fais un sang d'encre...", attaqua Maman.


Je ne savais quoi dire, et j'aurais mieux fait de me taire. J'ai bredouillé : "Bah, euh, j'étais au cinéma, tu sais bien, M'man. Mais, le film était drôlement long, euh, euh, et puis il a, euh, démarré en retard même..."
La réponse fusa : "Christine, tais-toi ! Ne rajoute pas des mensonges en plus. J'étais inquiète et j'ai téléphoné au cinéma, et ils m'ont dit que la séance était fini depuis 22 h 10. J'ai failli appeler la gendarmerie. Heureusement, Mme Lambert qui passait sous ma fenêtre où je guettais m'a dit que tu papotais au bout de la rue. Et toi, tu voudrais me faire croire que le film avait duré jusque-là. Ce n'est pas ça qui va améliorer ta situation, Christine."
Je me trouvais toute penaude, prise en flagrant délit de mensonge, en retard d'une heure, bref difficilement défendable... Je restais plantée là, et muette, tête basse...
"Je t'avais pourtant prévenue, Christine. Je n'étais même pas d'accord pour que tu ailles au cinéma, je me laisse convaincre, et c'est ainsi que tu me remercies. Ca, ma fille, je peux te dire que tu vas me le payer. Ca va barder, je te prie de la croire. Je vais t'apprendre à mentir de la sorte. Ah, tu peux préparer tes fesses..." ajouta Maman.
Elle avait reposé sa tasse, et je m'attendais à ce qu'elle m'attire et m'étale sur ses genoux. Et je suppliai : "Maman, je t'en prie, non, pardonne-moi. Non, s'il te plait, pas la fessée..." 

Mais, il était près de 23 h 30, et mes soeurs dormaient depuis longtemps. Maman rétorqua : "Oh que si, ma fille, tu n'y couperas pas. Je n'ai pas envie que cela recommence un jour, j'ai eu peur qu'il te soit arrivé quelque chose, et toi, au lieu de comprendre mon inquiétude, au lieu de me dire "Maman, excuse-moi, j'ai trainé avec ma copine", tu me racontes des mensonges. Je peux te dire que cela mérite une fessée magistrale. Mais, il est tard, Aline et Diane dorment, et je n'ai pas envie de réveiller la maisonnée. Alors, tu files te coucher. Nous reparlerons de tout cela demain matin, mais ne te fais pas d'illusion, Christine... Tu ne perds rien pour attendre..."


Je n'ai pas demandé plus d'explications, et j'ai filé dans ma chambre, déjà contente de ne pas avoir reçu la fessée sur le champ.
En deux temps trois mouvements, j'étais en pyjama, et au lit, histoire de ne pas aggraver la colère maternelle.
Après avoir rangé sa tasse, vérifié que tout était fermé, Maman monta à son tour. Elle contrôla que tout allait bien chez mes soeurs, rebordant Aline qui avait bougé en dormant, puis elle vint dans ma chambre. "Allez, dors vite, ma chérie", dit-elle à mi-voix.
J'émis un petit sanglot : "Snif, Maman, dis, euh..."
Mais elle posa son index sur mes lèvres. "Chut ! Il est l'heure de dormir, Christine. Ce n'est pas le moment de discuter, et d'ailleurs il n'y a rien à discuter. On réglera nos comptes demain matin. Tranquillement. Il n'y a pas école et je vous laisserai dormir jusqu'à 9 h. Allez, bonne nuit, ma chérie." Maman se pencha sur moi, déposa un baiser sur mon front, et quitta ma chambre, me laissant dans le noir.
Je me tournai et me retournai dans mon lit, cherchant à m'endormir, mais ma tête était trop pleine de sentiments mêlés, de pensées qui s'agitaient, d'angoisse face à l'avenir...
J'avais chaud et je sortis des draps, me mettant en position pelotonnée serrant mes genoux comme on serre un ours en peluche.
La situation me semblait si étrange et si compréhensible à la fois. Souvent, j'avais reçu des fessées au coucher, souvent Maman m'avait ainsi quittée me laissant pleurant à chaudes larmes, la lune rougie, avec la nuit pour sécher mes larmes, pour cacher ma honte.
Ce soir, Maman me laissait juste angoissée, mais dans l'attente. Je n'avais pas reçu la fessée, mais je savais que j'allais la recevoir, "demain matin" avait-elle dit. Au réveil, avant ou après la toilette, avant ou après le petit-déjeuner, en début ou en fin de matinée, ça, je ne le savais pas encore, mais ce n'était qu'un détail...
Maman nous réveillerait vers 9 h, avait-elle précisé. Minuit allait sonner, cela me laissait donc encore 9 h pour dormir, de quoi faire au moins les sacro-saintes huit heures de sommeil que Maman tenait à ce que les enfants fassent le plus souvent possible. Mais, encore fallait-il pouvoir dormir sans penser à ce qui m'attendait... Sans cauchemarder, sans m'imaginer sur les genoux maternels...
Je cherchais des motifs de consolation. En posant ma main sur mon bas du dos, je me disais que j'avais déjà gagné du temps, qu'il n'était pas écarlate et brulant... Mais, je retirais vite la main, tant ce contact me faisait frissonner, tant il m'annonçait que bientôt ce serait la main de Maman qui s'activerait là...
Je me consolais aussi en pensant que mes soeurs dormaient, qu'elles avaient loupé mon arrivée penaude et les explications avec Maman. J'étais presque contente qu'elles n'aient pas pu se coucher en se disant : "Demain matin, Christine va recevoir la fessée..."
Mais, j'angoissais déjà en imaginant que demain au réveil, Maman expliquerait forcément qu'elle avait un compte à régler avec son ainée... Je croyais me souvenir que demain Aline avait catéchisme de 10 h 30 à 11 h 30. Et que Diane devait finir une rédaction à rendre le surlendemain. J'imaginais bien Maman au petit-déjeuner lancer : "Diane, tu n'oublieras pas de finir ton devoir si tu veux aller jouer chez Amélie, cet après-midi. Et toi, Aline, tu devrais relire ton cahier de caté avant d'aller au presbytère. Et, je vous conseille d'être sage et de ne pas vous faire remarquer. J'ai assez à faire avec Christine qui s'est encore distinguée hier soir. Elle va d'ailleurs recevoir ce matin une bonne fessée pour la peine, alors si vous voulez que je m'occupe de vous également, ne cherchez pas les ennuis..."
Inutile de dire que j'ai mis du temps à trouver le sommeil...

A SUIVRE

4 commentaires:

  1. Voilà un récit tirant davantage des larmes que des sourires, le genre d’histoire qui ne nous fait plus dire : « Cette petite effrontée de Christine a eu ce qu’elle méritait pour avoir (à choix) volé – menti – triché – mal travaillé – été insolente. » mais plutôt : « Pauvre Christine, sa maman ne laisse vraiment rien passer. »
    Car enfin, qu’a-t-elle fait de mal, notre petite lycéenne ? La voilà qui obtient – faveur que j’imagine rare – l’autorisation maternelle pour aller au cinéma avec sa copine et s’offrir une parenthèse de liberté au sein de son existence maternellement rythmée par une discipline sans nuance. La séance terminée, la voilà qui bien légitimement s’attarde un peu avec Anne pour bavarder de sujets bien anodins. Elles n’ont même pas été traîner dans un bistrot, ni n’ont rencontré furtivement des garçons, ni ne se sont cachées pour fumer des cigarettes… Christine a tout simplement, et sans nulle mauvaise intention, laissé passer l’heure de la rentrée. La fessée qui l’attend nous paraît d’autant plus injuste que l’on se doute que Anne, elle, ne subira pas un tel traitement.
    Christine tout de même ne brille pas par la subtilité, en s’enfonçant dans un mensonge facilement démasqué, plutôt que de se montrer franche. (Elle aurait pu se douter que sa mère, toujours aux aguets, ait téléphoné au cinéma.)
    On peut comprendre l’inquiétude de Madame Spaak, qui ne tient pas à ce qu’il arrive un malheur à sa fille. Mais tout de même… elle savait bien, suite à la délation de sa voisine, que Christine se contentait de « papoter ». Ne pouvait-elle se cantonner à un sermon ?
    Mais non, notre héroïne va se coucher l’angoisse au ventre, sachant qu’une fessée l’attend au réveil, quitte pour passer une nuit de terrifiante expectative. Une fois encore, elle se demande anxieusement où et quand le châtiment lui sera administré. L’enfer que l’on connaît étant toujours préférable à l’enfer que l’on ne connaît pas, il eût mieux valu qu’elle s’endorme le postérieur brûlant mais la tête vidée de toute appréhension...
    Autre détail rappelant les fondements catholiques du mode de vie familial : Aline y suit son catéchisme au presbytère, sans doute pour préparer sa première communion. (Christine devrait plutôt sortir de confirmation… Au fait, est-ce tante Jacqueline qu’elle a choisi comme marraine ?)

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  2. Merci Mardohl de prendre ma défense. Je comprends vos arguments. La faute paraît moins grave que d'autres mais, sans vouloir prendre la défense de Maman, il faut admettre que votre plaidoyer est un peu laxiste ne ce sens qu'il n'intègre pas la vision de la chose du côté maternel.
    Je l'ai dit : c'était déjà miracle que Maman me laisse aller au cinéma ce soir-là, du fait d'une tension latente qui existait depuis plusieurs jours. Le prétexte de la recommandation de la prof d'aller voir ce film a fait basculer la décision en ma faveur, mais c'était limite.
    Le deal était donc : OK pour la séance, mais tu rentres vite après.
    Petite précision aussi : je ne suis alors que collégienne, pas encore lycéenne, et m'imaginer dans les rues, même si notre petite ville était très tranquille, était la porte ouverte à des peurs compréhensibles. Surtout quand quelques faits-divers occupent les gros titres de l'actualité du moment.
    Et puis, c'est vrai que, comme je l'ai plaidé le lendemain matin au moment de l'explication avec Maman, je n'avais "rien fait de mal", ce qui a fait déborder le vase de la colère maternelle, c'est bien que j'avais menti d'entrée, que j'étais entrée dans des explications que je croyais crédibles, mais qui n'étaient qu'invention.
    Et Maman, si elle n'avait pas eu le réflexe de téléphoner au cinéma, aurait peut-être pu se faire rouler par l'aplomb de sa fille débitant ses sornettes et presque prête à jurer que c'était la vérité.
    Elle avait donc eu peur au départ, se retenant de ne pas appeler la gendarmerie après avoir eu la confirmation que la séance était finie depuis belle lurette. Puis, guettant à la fenêtre, elle avait été rassurée par une voisine : j'étais en sécurité et tout près de la maison.
    Etant déjà en tenue de nuit, Maman avait décidé de patienter quelques minutes, décidée, si je n'étais pas rentrée rapidement, d'enfiler un peignoir et d'aller me chercher au bout de la rue. Elle finissait son infusion, faite pour tenter de se calmer, au moment où je suis enfin rentrée, m'évitant une interpellation publique dans la rue qui aurait pu être gênante pour moi...
    Je crois donc que, si effectivement j'étais rentrée la bouche en coeur, expliquant que je n'avais pas vue l'heure, que le film était super, que nous en avions discuté avec ma copine, j'aurais peut-être bénéficié de clémence, d'autant qu'il était tard et qu'il ne fallait pas réveiller les petites.
    Mais, c'est la Christine consciente qu'elle risquait gros qui était revenue avec des explications fantaisistes, se trouvant prise en flagrant délit de mensonges...
    Avec Maman, c'était impardonnable... Le comprenez-vous mieux ainsi ?

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  3. Je comprends mieux, Christine. Il est vrai que j’ai tendance à vieillir l’héroïne de vos récits, sans doute influencé par les photos, et que je la perçois davantage comme une lycéenne que comme une collégienne.
    D’ailleurs je dois souligner un autre détail de votre récit qui nous rappelle que Christine est encore presque une enfant. Angoissée par la menace maternelle à l’orée de cette nuit d’anxiété, elle serre ses genoux « comme on serre un ours en peluche ». Comment dès lors ne pas compatir au sort peu enviable de notre attachante petite écervelée ?
    Si j’ai pris votre défense, c’est que je me doute que le régime ayant cours dans la famille Spaak doit sans doute être plus rigide que dans d’autres familles. Ainsi, comme je l’ai déjà évoqué, je me doute que Anne s’en est tirée au pire avec une privation de sortie. (Je la vois bien expliquer à Christine lors de leur prochaine rencontre : « Ma mère n’est pas cool. Quand je suis rentrée en retard après le film, elle m’a engueulé et m’a fait savoir que je n’irai plus au cinéma jusqu’à Pâques. Elle t’a dit quelque chose, ta mère ? » Et Christine, rougissante, embarrassée, de répondre évasivement : « Bah si un peu comme d’habitude quoi. » avant de changer hâtivement de sujet.)

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  4. Je ne doutais pas que vous comprendriez mes remarques. Même si je suis touchée que vous défendiez souvent la "petite écervelée" comme vous dites que je pouvais être.
    La position de me mettre en boule, de serrer mes genoux, un peu en position foetale, était un réflexe naturel quand j'étais angoissée ou quand je boudais. L'illustration que j'en ai trouvée me semble bien le montrer.
    J'avoue ne pas avoir dans ce cas précis de souvenir de dialogue avec Anne sur cet épisode, mais je ne doute pas que vous soyez dans le vrai. Cela s'est sûrement mieux passé chez elle que chez moi. Mais, je pense aussi qu'Anne a dû arriver chez elle en courant, expliquant de suite à sa mère qu'elle n'avait pas vu l'heure passer, que le film était trop bien, qu'elle en avait discuté à n'en plus finir avec moi, etc, etc. Bref, je la vois plutôt jouer la franchise que d'adopter mon attitude qui avait été de faire croire que je n'y étais pour rien.
    Il est vrai que pour elle l'enjeu devait être moins important que pour moi. D'un côté sûrement une éventuelle privation de sortie ou d'argent de poche, de l'autre c'était une déculottée qui m'attendait...
    Sûr aussi que si elle avait évoqué avec moi la façon dont nous avions été reçus au retour à la maison, j'aurais évidemment tenté d'éluder le sujet et vite changé de conversation...

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