mardi 25 janvier 2011

Ces moments où le coeur bat fort : le petit sourire de Tata

En dehors des récits construits, ma mémoire fourmille aussi d'impressions fugaces, d'instants particuliers, de ces moments où d'un seul coup le coeur bat la chamade, du fait d'une angoisse qui se fait jour.
Souvent l'angoisse était justifiée et la suite claquante, parfois, ce n'était qu'une alerte, mais faute de savoir l'issue à l'avance, je vivais cela avec un palpitant qui galopait et une foule de sentiments, de peurs, d'images, qui se pressaient dans ma tête.

"Dépêche-toi de rentrer, ta mère t'attend"



Je n'avais pas cours cet après-midi là, et j'étais chez ma tante Jacqueline,à dix minutes à pied de notre maison, pendant que Maman allait à un rendez-vous chez son dentiste.
Il était convenu que je rentre à 17 h, quand mes soeurs seraient sorties de l'école. Je lisais donc des bandes dessinées quand Tata m'appela après avoir reçu un coup de fil. Il était à peine plus de 16 h, et j'ai pensé que c'était pour le goûter.
"Attends, Tata, je finis cet album et j'arrive", lançai-je depuis le canapé où j'étais allongée le nez dans le bouquin.
"Non, dépêche-toi, Christine. C'est ta mère qui veut que tu rentres", répondit Tata.
Je m'étais relevée et m'avançais vers Tata, assise sur sa terrasse. Je regardai l'heure : "J'ai encore le temps, tu sais, les petites ne rentrent qu'à 5 h", ajoutai-je innocente.
Tata fit une petite mine amusée : "Désolée, Christine, mais ta mère m'a demandé que tu rentres "dare dare", et je n'ai pas eu l'impression qu'elle rigolait. Je serais à ta place, je me dépêcherais de filer..."
Je ne comprenais pas et je demandai à Tata si Maman avait dit pourquoi. Elle n'en savait guère plus mais ce qu'elle dit n'était pas de bon augure : "Ah, excuse-moi, Christine, je n'ai pas demandé de détails. Elle m'a juste dit que tu avais "encore fait des tiennes" et comme elle n'avait pas l'air commode, je n'ai pas joué les curieuses"
Les mots de Tata m'ont enlevé toute trace de gaité sur mon visage. Je me mis à pâlir et je réfléchissais : que voulait dire Maman ? Avait-elle rencontré un de mes profs ? Avait-elle reçu un courrier du collège ? Ou découvert les morceaux du vase que j'avais cassé et caché depuis trois jours derrière une pile de livres ? Ou je ne sais quoi encore ?
"Ne fais donc pas cette tête-là, Christine. Tu dois bien savoir si tu as fait ou non des bêtises. Je connais assez ma soeur pour savoir qu'elle ne se fâche pas pour rien. Je te conseille simplement de ne pas tarder, sinon cela risque de ne pas arranger ton cas", commenta Tata, alors que je reprenais mon blouson et reposais l'album commencé.
J'allais partir sans dire un mot, et Tata me rappela : "Viens me faire un bisou quand même. Et tu peux emmener l'album. Tu le ramèneras quand il sera fini"
J'ai fait une bise rapide à Tata qui m'a fait un gros poutou en retour. "Allez, file coquine. Et ne fais pas de détour sur le chemin. Si tu n'as rien à te reprocher, ça se passera bien. Sinon, mon petit doigt me dit que tu peux préparer tes fesses... Alors, ne fâche pas ta Maman davantage en étant en retard..."
Tata Jacqueline avait un petit sourire aux lèvres, qui était mi-moqueur, mi-compatissant. Ses dernières phrases résumaient parfaitement la situation, et elles mettaient des mots sur ma peur. Mon petit coeur battait très fort dans ma poitrine quand j'ai quitté la pièce...

5 commentaires:

  1. Ah ! revoilà l'un de mes personnages fétiches, la tante Jacqueline que l'on voit toujours compatissante envers sa « nièce préférée » (expression tirée de « La malade imaginaire »). Quel souvenir fugace à l’authenticité proustienne ! Je l’imagine bien, votre tante, la petite dernière de la maisonnée, qui peut-être fut élevée moins sévèrement que votre mère, et qui, comme c’est souvent le cas pour les cadettes, a toujours fait montre d’anticonformisme pour se distinguer de son aînée. Sans doute a-t-elle toujours fui les responsabilités, au point de se retrouver fringante célibataire, connue dans son entourage pour ses modestes excentricités. Elle s’offre de temps en temps un petit trek au Népal et ça doit sentir bon chez elle l’herbe et le patchouli. Je me mets à la place de Christine, qui se plaît, seule, libérée de ses petites sœurs, chez sa tante, où les règles de vie doivent être bien moins strictes qu’à la maison. Un petit espace de liberté pour notre héroïne, qui se voit dans ces moments câlinée comme une fille unique par sa tante, qui lui passe assurément certains caprices en cachette de sa mère. Elle dévore ces BD que sa mère n’admet qu’à moitié, et s’empiffre au goûter de tartines au miel sans nombre. Peut-être même que la tante et la nièce, complices, prennent leur repas, suprême interdit, devant la télévision en zappant et devisant comme des frangines. Christine lui confie ses petits secrets de jeune fille, et Jacqueline l’écoute et la conseille, comme la grande sœur que la narratrice n’a jamais eue.
    Mais voilà bientôt une ombre à ce charmant tableau. Le téléphone de maman Spaak vient tirer Christine de ce cadre idyllique. La réalité d’une bêtise la rattrape, elle va devoir écourter son séjour et être confrontée à ses responsabilités. Une menace plane sur son postérieur, une fessée redoutable et redoutée l’attend. Sa tante elle-même ne peut l’aider, car elle ne peut aller à l’encontre de son aînée, qu’elle approuve dans toutes ses décisions. Tout au plus se fend-elle d’un poutou, et laisse à Christine la BD qu’elle terminera chez elle, sûrement pour se consoler, les fesses rougies en séchant ses larmes. Christine enfile son blouson, indifférente à tout ce qui l’entoure, et rentre chez elle le nez au sol, se sentant seule, terriblement seule…

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  2. Chère Christine,merci de nous faire retrouver Tata elle nous manquait beaucoup;comme elle connait bien sa soeur et ses méthodes educatives!
    Ce dut etre pire que si c'etait votre mère qui vous menacait?Et quand reviendra t elle assister a une de vos "punitions cuisante"?Bientot j'espère.C'est toujours ecrit par petites touches tres suggestives et vous avez l'art de nous faire attendre la suite avec impatience,alors que vous meme redoutiez cette suite!Encore merci et continuez,ca me raméne bien loin en arriere et c'est tres agreable en fait.

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  3. Notons aussi que, si Christine peut considérer sa tante comme sa grande sœur, Jacqueline peut elle-même considérer sa nièce comme la petite sœur qu'elle n'a jamais eue.
    Dommage tout de même qu'elle se montre moqueuse, ne fût-ce qu'à moitié. Christine n'a pas besoin de ça, elle a déjà deux petites sœurs pour se payer sa tête !

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  4. Je suis contente que le retour de Tata Jacqueline fasse l'objet de commentaires de qualité.
    J'essaierai de penser à la demande de Martine d'un épisode avec Tata comme témoin.
    Quant à Mardohl, il a fort bien deviné mes rapports avec Tata. Même si elle n'était pas herbe et patchouli, ce qui n'était pas le genre de la famille. Mais, à cette époque, elle était célibataire, et c'est vrai que je me sentais bien chez elle. Jacqueline a sept ans de moins que Maman, et elle était ado quand je suis née, j'ai été le premier bébé dont elle a pu s'occuper, mes soeurs n'étant nées que 3,5 et 5 ans plus tard.
    On a toujours eu une complicité particulière, elle me traitant comme la grande de la maison. Elle a parfois pris ma défense et j'ai parfois échappé à quelques tannées parce qu'elle était là et réussissait à dédramatiser un conflit.
    Mais, elle était aussi très proche de Maman et elles ne se cachaient rien ou presque. Disons qu'il est arrivé que Tata ne raconte pas toutes mes frasques à Maman, mais elle n'ignorait pas grand chose des épisodes qui émaillaient notre éducation.
    Et, pour en revenir à notre épisode présent, Tata n'avait pas eu besoin de demander des détails à Maman, de lui faire préciser ses intentions, pour comprendre que si elle souhaitait mon retour immédiat, ce n'était pas pour me féliciter...
    Avec son petit sourire plein de compassion, ma tante me regardait partir en se doutant bien que sa grande soeur se préparait à me donner une bonne fessée déculottée et certainement bien méritée.

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  5. Nos commentaires viennent de se croiser, Mardohl. Votre remarque sur l'aspect grande soeur et petite soeur que moi et elle n'avons pas eues, est très vrai.
    Pour ce qui est du côté moqueur, il était toujours accompagné de compassion. Tata me disait par là : ma pauvre Christine, sur ce coup-là, je ne peux rien pour toi... Je ne peux pas te sauver la mise à chaque fois.
    Et je crois aussi que c'était la manière que j'avais de changer de mine, de tirer d'un coup une grimace très parlante, de montrer mon trouble, qui devait être presque drôle à regarder. Ce n'était pas l'étonnement d'une innocente, le bouleversement de quelqu'un qui ne comprendrait pas, ce qui aurait susciter sûrement de Tata un réflexe pour me défendre, pour plaider ma cause.
    Non, je crois qu'il y avait dans mes mines, dans mes mimiques angoissées, comme un aveu, comme un "je me doutais bien que Maman saurait un jour", ou un "si la lettre du collège est arrivée, ça va barder".
    Tata comprenait que sa nièce préférée avait conscience qu'elle avait quelque chose à se reprocher, qu'elle avait encore fait des siennes, et qu'elle savait parfaitement que sa mère allait lui rougir les fesses...

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