dimanche 27 janvier 2013

Chronique d'un redoublement : 55. Angoisse et tergiversation avant un timide aveu...

SUITE 54 

A la fin de la journée, j'avais eu du temps pour encaisser la nouvelle, pour me faire à cette idée, bref pour reprendre le dessus, en tout cas pour sauver les apparences, car si Maman m'avait surprise avec la tête que j'avais durant la récréation, il n'y aurait même pas eu besoin de mots pour qu'elle comprenne que sa grande fille avait encore une tuile à annoncer...

Mes réflexions de ces derniers jours m'amenaient à être réaliste, à comprendre qu'à l'évidence une nouvelle colle, qui plus est en anglais, pour bavardage dans le dos de Mlle Paule, ne pouvait avoir qu'une seule issue, que je connaissais trop bien...

D'où la prise de conscience que rien ne servait de monter une usine à gaz, ni de remuer ciel et terre en espérant une clémence qui tiendrait vraiment du miracle...

Cela dit, je n'en étais pas non plus à pratiquer l'excès inverse, et à courir voir Maman en claironnant mon nouvel exploit, comme si je venais lui dire : "Il va falloir que tu me donnes une bonne fessée".



La petite différence qu'il y avait dans mon appréhension de la situation, c'était de me dire que l'urgence n'était pas de trouver comment épargner mes fesses d'une prochaine claquée, mais comment faire pour que cela se passe dans les moins mauvaises conditions possibles...

L'avantage, si je peux m'exprimer ainsi, du système de colle en vigueur au collège, c'était de donner un petit délai. Autant le jour où l'on donnait le carnet mensuel à faire signer, c'était délicat de tenter de faire croire que l'on ne l'avait pas reçu, autant l'avis de colle, envoyé par la Poste, après que l'enseignant ait averti le secrétariat du collège, mettait au plus vite 48 h avant d'arriver à la maison, voire parfois jusqu'à cinq ou six jours, dans des cas extrêmes, style pont ou week-end. 
Mais la pratique, en laquelle j'avais hélas pas mal d'expérience... était l'arrivée du bulletin de colle dans la boite à lettres dans les deux ou trois jours, et plus souvent le surlendemain précisément. 

Je rentrai donc ce soir-là à la maison, certaine, sauf si Maman avait croisé Mlle Paule bien sûr, je dirai donc quasi-certaine que la nouvelle de ma colle lui était inconnue. Je pensais bien qu'un bel élan de franchise aurait peut-être plaidé en ma faveur, mais je me sentais aussi très lasse en ce soir-là pour aller au devant de nouvelles émotions...

Surtout qu'en arrivant à la maison, les petites étaient déjà là, et Diane avait amené une camarade de classe pour un travail en commun, avant que la mère de la copine en question ne vienne la rechercher avant l'heure du diner. Ce n'était donc pas du tout le moment adéquate pour annoncer mes deux heures de colle, et m'entendre dire que je devrais "préparer mes fesses"...

A Maman qui m'interrogeait comme chaque soir à mon retour à la maison, j'avais affirmé que "tout allait bien", changeant bien vite de conversation pour ne pas que ma chère mère et son flair légendaire ne se doutent de quelque chose...

J'hésitai un tout petit instant quand, le soir au coucher, Maman vint me dire bonne nuit. Le moment pouvait être propice pour une confidence, mais la perspective de voir Maman changer de ton m'amena à prendre le parti de n'en rien dire et à savourer le câlin maternel et chaleureux pour sa grande fille bien sage depuis trois semaines... 

Le lendemain, j'étais décidée de tenter ma chance dès que je pourrais me trouver seule à seule avec Maman, mais une voisine couturière venue faire faire des essayages à Maman, puis mes soeurs revenant plus tôt que prévu du cours de danse annulé pour cause de prof souffrante, firent qu'à aucun moment je ne pus, ou ne me sentis la force d'aller vider mon sac et confier mes tourments à Maman.

Toutefois, à force d'aller et venir sans raison plausible, de m'approcher puis de reculer, je commençais à éveiller les soupçons maternels m'entendant dire : "Christine, tu as un drôle d'air, ma fille... Tu as quelque chose à me dire ?".



Mais, vieux réflexe de cachotière invétérée, dès que l'on me tendait une perche, je la repoussais automatiquement, avec des dénégations forcées dont je pense, avec le recul, qu'elles ne faisaient que conforter Maman dans sa sensation de décrypter là une manoeuvre de sa grande fille...

Preuve en est qu'au coucher, Maman insista un peu pour me faire dire que quelque chose n'allait pas, mais une fois de plus, comme lorsque j'avais justement déjà nié l'évidence à plusieurs reprises dans la même journée, je me sentais prisonnière de cette attitude et je restais sur mes positions. 

Le lendemain midi, en rentrant à la maison, je savais qu'il y avait de bonnes (l'adjectif est mal adapté...) chances (ce mot-là aussi), disons de fortes probabilités que le facteur soit passé et que je me retrouve à n'avoir rien dit avant...

Je rentrai donc avec l'impression qu'une fessée m'attendait...

Heureusement, il n'y avait pas de lettre du collège d'arrivée... Mais, la nouvelle n'était pas aussi bonne que cela, car le facteur n'était pas encore passé, et ne viendrait donc qu'une fois que je serais retournée en cours...

Cela me donnait cependant une ultime possibilité de prévenir Maman...

A l'issue du déjeuner, Aline et Diane étaient pressées de repartir à l'école retrouver leurs copines, et Maman les laissa filer avec quelques minutes d'avance sur l'horaire habituel. Je préparais mon cartable dans ma chambre et, entendant la porte se refermer sur mes soeurs qui partaient, je descendis à mon tour titillée par une envie de "préparer" Maman à la mauvaise surprise...

Elle était en train de prendre son café dans le salon, en lisant une revue. Je la rejoins, mais restai figée à l'entrée du salon, n'osant pas articuler les deux ou trois phrases que j'avais pourtant répétées dans ma tête depuis deux jours.

Je demandai simplement : "Euh, dis, euh... Le facteur n'est pas passé, euh ?"
 Maman comprit vite : "Pourquoi donc, Christine ? Tu attends quelque chose ?"
Il ne restait plus que trois minutes avant que je doive filer et je me lançai en donnant toutefois une version au conditionnel du genre : "Bah, peut-être qu'il se pourrait qu'il y ait, euh, une enveloppe du collège. Euh, peut-être, euh, un bulletin de colle ?"
Maman fronça les sourcils : "Une colle, encore ? Mais, en quelle matière, et pourquoi donc ?"
Je balbutiai : "Bah, euh, en anglais, euh, parce que, euh, on parlait avec ma voisine. Mais, euh, c'est pas sûr, euh..."..
Maman me coupa dans mes explications oiseuses : "Mais, je rêve, Christine. En anglais, en plus ! Mais, tu cherches vraiment les ennuis. Et tu prétends que ce n'est pas sûr... Mais connaissant Mlle Paule, si elle l'a dit, elle ne changera pas d'avis... Et puis, pour que tu m'en parles, c'est bien que tu sais que tu seras collée... Ah, ce n'est pas possible, je sentais bien que quelque chose n'allait pas, que tu me cachais quelque chose..."

Je tentai d'objecter : "Mais, tu vois, M'man, je te le dis maintenant. Et, depuis, on a fait une interro en anglais ce matin, et tu verras, je suis sûre que j'aurai la moyenne..."

Maman fulmina : "N'aggrave pas ton cas, Christine. La moyenne, la moyenne, j'espère bien qu'une redoublante comme toi l'aura toute l'année la moyenne et bien plus encore quand même. Ce n'est pas de cela qu'on parle, c'est de discipline. J'en ai assez, moi ! Quand Mademoiselle ne chahute pas, elle bavarde... Ah, je comprends que tu hésites à m'en parler, Christine. Parce que tu sais très bien ce que tu vas récolter en plus de ces heures de colle... Ah, tu peux préparer tes fesses, ma fille..."

Je sanglotai en demandant pardon, mais Maman regardant l'heure coupa court à la conversation : "Allez, file au collège. Je ne voudrais pas que tu sois en retard, et que tu récoltes d'autres heures de colle... Je vais attendre le facteur pour voir ce qu'a bien pu mettre Mlle Paule comme motif de sa sanction... En tout cas, crois moi ma fille, nous en reparlerons ce soir toutes les deux, et je te préviens déjà que cela va barder..."



Sa main, la paume largement ouverte, avait accompagné d'un geste bien caractéristique cette menace qui était plus qu'une menace, qui était une annonce claire et sans le moindre conditionnel. Ce soir, le bulletin de colle alimenterait une de ces "discussions" dont Maman avait le secret, et toute grande fille que j'étais, moi, Christine, j'allais "récolter" ce que je "savais", je pouvais "préparer mes fesses" et cela allait "barder". 



Les mots résonnaient dans ma tête sur le chemin du collège, et j'eus bien du mal à cacher les larmes qui coulaient sur mes joues durant le parcours. Et ce n'était là que le trajet aller... Celui du retour ferait à coup sûr, encore plus battre mon coeur...

A SUIVRE

mercredi 23 janvier 2013

Chronique d'un redoublement : 54. La prise de conscience et une accalmie (hélas) passagère

SUITE 53 

Je m'étais reculottée à la hâte, alors que Maman quittait ma chambre, de peur qu'une ou deux paires d'yeux n'aient été derrière la porte au moment où notre mère la rouvrait. Mais, les petites n'avaient pas été jusque-là dans leur curiosité, ne prenant pas à la légère les menaces maternelles lors de leurs deux intrusions sur cette sorte de scène où je tenais à mon corps défendant la vedette, une fois encore.
En refermant la porte derrière elle, Maman avait ajouté : "On dîne dans un petit quart d'heure. Mets-toi en pyjama en attendant".
Cela me laissait peu de temps pour me redonner une figure présentable, mais je ne m'exécutai pas dans l'instant. Encore sous l'emprise de gros sanglots, je me couchai sur mon lit, me mettant en boule, et pleurant un long moment, le temps d'évacuer un tant soit peu mon chagrin.



Je ressentais mon bas du dos comme une sorte de radiateur, une source de chaleur que ma culotte et ma jupe remises en place semblaient contenir ou conserver.
Je sentais aussi comme une grande lassitude, comme un épuisement après un long combat. Et puis, après deux journées d'angoisse, de peur me mettant sur les nerfs, une fois la fessée reçue, ces mêmes nerfs se relâchaient. Je n'avais effectivement plus à avoir peur. La fessée, ma fessée, je venais de la prendre, et de belle manière... Et, le mauvais moment passé, je me sentais presque soulagée, en tout cas moins tendue.

Je n'avais pas bougé quand Maman nous appela à table, et je sursautai, me relevant à la hâte et me dépêchant de me mettre en pyjama. J'aperçus fugacement dans la glace de l'armoire l'image de ma lune écarlate, encore bien rouge à mon goût, même si Maman aurait sûrement jugé qu'elle avait déjà pâli...



Aline et Diane étaient à table lorsque je pénétrai dans la cuisine, au moment où Maman apportait la tourte. Mais, les trois paires d'yeux semblaient ne regarder que moi. J'avais l'impression que j'étais l'attraction, et que, plus que la tourte juste sortie du four, l'on observait la grande Christine juste sortie des genoux maternels...

Inutile de dire que je n'avais guère d'appétit et que j'ai dû à bien des reprises au cours de ce repas, baisser les yeux, mettre le nez dans mon assiette, cacher ma honte et mon envie de rougir lorsque fusèrent diverses allusions à ce qui m'était arrivé... On eut droit au couplet sur le fait que grande soeur avait eu "une bonne fessée", qu'elle était "méritée", et que "Maman tient toujours ses promesses". Sans oublier les avertissements lancées à Aline et Diane, leur rappelant qu'elles "aussi" pourraient bientôt se faire "déculotter", ce qui toujours ramenait ma fessée comme référence. 
D'autant que Maman pouvait, en faisant allusion à l'incursion des petites dans ma chambre, ajouter : "Et vous avez bien vu comment je me suis occupée de Christine..."  Ce qu'Aline et Diane, j'en étais sûre, devaient traduire par : "Vous avez bien vu comment ses fesses étaient toutes rouges".



 J'avais l'impression en regardant mes soeurettes que se reflétait encore dans leurs yeux l'image de la grande soeur étalée sur les genoux maternels, la culotte baissée, la lune rougissant sous la claquée d'une main ferme et experte.

C'est donc sans m'attarder que je filai dans ma chambre la dernière bouchée avalée, ayant encore à subir l'inévitable petit sermon de Maman venant me dire bonne nuit, moitié consolante, moitié sur le mode du rappel de ce que je voulais surtout oublier.

Mais, c'est vrai qu'au fond de moi, j'arrivais à relativiser, et quelque part j'avais l'impression de m'en être sortie plutôt bien, ayant toujours en tête les visions du cauchemar qui avait hanté les deux nuits précédentes. Toute mémorable qu'elle ait été, la fessée reçue était plus supportable que l'idée d'une tannée mise en scène devant un public invité.
A ce propos, j'ai encore eu un moment de frayeur lorsque, le lendemain soir, Maman me demanda d'aller à la boulangerie chercher une baguette de plus, Tata s'étant invitée à dîner. Comme je me souvenais que Maman y était passée la veille, je craignais qu'elle ait fait une quelconque allusion à ce qu'elle s'apprêtait à faire en rentrant... 
Martine, la vendeuse, n'était pas là, mais c'est Mme Breton qui me servit, en me demandant comment cela allait, et glissant : "J'espère que tu n'as pas fait de bêtises aujourd'hui", ce qui me fit rougir comme une pivoine...
Je balbutiai un : "Oh, non Madame, j'ai été très sage aujourd'hui", ce qui, en y repensant, m'a semblé idiot, car ce "aujourd'hui" pouvait faire penser que cela n'avait pas été le cas "hier". C'est donc, assez troublée et encore presque rougissante que j'ai ramené la baguette à la maison, où Tata Jacqueline était arrivée, et où son regard compatissant et son "Ma pauvre chérie" en guise d'accueil me firent comprendre qu'elle avait déjà eu droit à un résumé de l'épisode de la veille. Mais, comme cela s'était fait avant que je revienne, j'avais au moins évité une séance de honte de plus. 

Le surlendemain, je rentrai avec un large sourire pour annoncer un 16 en maths. J'étais ravie, c'était pour moi une manière de dire à Maman : "Tu vois que je ne suis pas une cancre, tu vois que je peux avoir de bons résultats". C'était comme une revanche, alors que, ce dont je n'avais pas conscience, c'était bien que je donnais là à Maman des arguments, que je ne faisais que renforcer sa conviction de bien faire. Comme si ma bonne note était la conséquence de la bonne fessée...


J'étais toute contente, mais Maman doucha mon bel optimisme en me regardant avec un air autosatisfait, et en commentant : "C'est bien, Christine. C'est bien... C'est juste dommage qu'il ait encore fallu une bonne fessée pour que tu te remettes à bien travailler..." J'en regrettais presque d'avoir fanfaronné trop vite...

Et cela aura été le dilemme de bien des situations de conflit entre Maman et moi. J'avais l'impression qu'en rapportant des bonnes notes je faisais la démonstration qu'elle avait tort de me prendre pour une mauvaise élève, que je lui démontrais que ce n'était pas la peine d'employer des méthodes appropriées aux gamines. Alors, qu'à l'inverse, Maman se félicitait d'avoir sévi, pensant que mes bons résultats montraient qu'elle avait eu raison, et que la fessée était encore et toujours la seule méthode, en tout cas la plus efficace, pour ramener sa grande fille dans le droit chemin...


D'un autre côté, l'épisode de cette fessée magistrale, mais loin du scénario catastrophe que mes cauchemars avaient imaginé, m'amenait à comprendre que cette année de redoublement allait bel et bien suivre les mêmes grands principes que les années précédentes. On ne change pas une équipe qui gagne, dit-on dans le milieu sportif. Une Maman consciencieuse ne change pas une méthode qui porte ses fruits, même si ce n'est pas une méthode miracle, et même si elle demande de la persévérance et une application régulière...


J'avais grandi depuis l'année précédente, mais la règle demeurait la même. Ma crainte subliminale que Maman passe à la vitesse supérieure n'était pas fondée. D'autant qu'elle n'avait pas lieu d'être. Evidemment, si j'avais eu la même attitude que douze mois auparavant, si mes notes étaient restées aussi en dents de scie, si les heures de colle s'étaient accumulées, les fessées auraient peut-être pris une autre tournure.


Mais, j'étais une gamine, une pré-ado intelligente, sans vouloir me vanter, et qui avait bien compris que poursuivre sur la mauvaise pente aurait hypothéqué mon avenir. Je n'allais pas non plus passer d'un extrême à l'autre, devenir la petite (grande) fille modèle, la première de la classe sage comme une image. Simplement, l'année de redoublement était l'occasion de me replacer parmi le peloton de tête de la classe, et d'être moins en conflit avec certains profs, donc moins à même à m'attirer des ennuis à la maison...


Je savais, et la récente fessée en était un bel exemple, que Maman attendait de moi mieux qu'une simple petite moyenne, et qu'elle serait derrière moi, plus encore que l'année passée, où elle s'en voulait un peu de ne pas avoir pu empêcher finalement mon redoublement.

Sans être totalement fataliste, car j'étais persuadée de pouvoir encore réussir à ruser, de savoir gagner du temps quand il le faudrait, j'avais bien conscience que Maman était encore moins disposée que l'année précédente à tolérer un zéro, une indiscipline, ou à recevoir un bulletin de colle, sans réagir de la manière que chacun imagine... D'ailleurs, lorsque parfois, sans aller jusqu'à menacer explicitement, avec des mots, elle levait la main de manière d'avertissement, ou montrait sa paume tout en faisant une mimique l'amenant à pincer ses lèvres, je savais bien que je n'étais pas à l'abri de nouvelles déconvenues, et j'avais presque l'impression de sentir mes fesses déjà dégagées et offerte à sa colère imminente...




De fait, ce début d'année, nous en étions à la moitié d'un trimestre de passé, donnait déjà l'esprit général. Christine n'avait plutôt pas trop mal commencé. Elle avait des résultats encourageants, mais aussi encore quelques rechutes qu'il convenait de ne pas laisser passer... La chahuteuse de l'an dernier n'était pas devenue un ange muet. Sa propension à jouer parfois les amuseuses de galerie, à jouer les intéressantes derrière le dos des profs, n'avait pas complètement disparu, mais était devenue plus rare. Raison de plus pour Maman de ne pas laisser sa grande fille mettre le doigt dans un engrenage dont l'année précédente avait démontré qu'il pouvait finir mal. Et, comme la seule méthode efficace gardait à n'en pas douter de bons résultats, la détermination de Maman n'en était que plus forte.


Et la Christine que j'étais ne pouvait qu'en prendre conscience. L'heure n'était plus aux faux espoirs, ni à se bercer d'illusions. J'avais passé l'année précédente à essayer d'échapper à ce qui m'était promis, j'avais toujours cru jusqu'au dernier moment au miracle, en vain. Bien sûr que si, cette année, je pouvais encore garder un tant soit peu la main sur mon destin, je le tenterais, mais globalement, je n'avais plus guère de doute, et savais que, le prochain zéro, la prochaine convocation de Maman par une prof, la prochaine mention d'une mauvaise conduite, d'un chahut, ou la récolte de deux heures de colle, tout cela était à éviter totalement, ou à retarder le plus longtemps, car le résultat était connu d'avance. Je n'aurais qu'à préparer mes fesses...

Cette prise de conscience m'amenait à être réaliste, à ne pas me bercer d'illusions, et donc à jouer plus finement. Cela ne voulait pas dire devenir fataliste totalement, tout subir et ne rien tenter. Mais, cela voulait dire comprendre que dans certains cas l'échappatoire était impensable, et qu'au lieu de nier l'évidence, au lieu d'aggraver son cas en ajoutant des mensonges ou manoeuvres grossières et invraisemblables, mieux vaudrait reconnaitre tout ou partie de ses torts, bref avoir une défense plus intelligente, moins gamine, en espérant au moins ne pas accroitre la colère maternelle, et peut-être faire qu'elle soit moins démonstrative au moment de l'incontournable explication, au moment, car il faut bien appeler un chat un chat, de l'inévitable fessée...

L'angoisse baissa d'un ton pendant quelques jours. Une fessée reçue par Aline la semaine suivante ôta même à la mienne le statut de dernière référence...

Je ramenais des résultats assez satisfaisants, et Maman avait même eu un compliment de la part de la prof de maths qu'elle avait croisée au marché.
De quoi peut-être faire baisser la garde de la Christine décidément bien sage depuis trois semaines déjà, et qui n'avait, cette année encore, pas une grande passion pour les cours soporifiques de la prof d'anglais. Et, même si je me méfiais de celle qui me valut moult problèmes l'année précédente, la tentation de bavarder et de faire rire mon entourage commençait à me titiller. 
Ayant des choses à raconter à ma voisine de classe, je chuchotai discrètement, n'imaginant pas me faire prendre. La première remarque de Mlle Paule aurait dû me faire taire, mais comme elle avait l'habitude d'en faire une autre, en précisant : "Dernier avertissement", je crus encore disposer d'un joker, et repris mon chuchotement le plus bas possible.
"Christine, pouvez-vous répéter la phrase que je viens de dire ?", lança sans crier gare Mlle Paule. Je balbutiai et bredouillai deux ou trois mots du début de la leçon, sans rapport avec ce qu'elle venait de dire. Ce qui provoqua le rire de la classe. Que Mlle Paule coupa d'un ton sec : "Taisez-vous. Cela n'a rien de drôle. Quant à vous, Christine, vous connaissez le tarif ? Ce sera deux heures de colle..."
Patatras ! Moi qui me tenais à carreau depuis une vingtaine de jours, je me retrouvais dans une situation dont j'imaginais déjà l'issue...



 
La fin du cours sonna quelques minutes plus tard. Je ne tentai même pas d'aller plaider ma cause auprès de Mlle Paule, je savais que cela ne ferait que la monter encore contre moi. Je passai le quart d'heure de récréation dans un coin. Prostrée, au bord des larmes. Ma voisine de classe vint pour essayer de me consoler, me disant que ce n'était pas grave, etc., etc. Mais, je lui demandai de me laisser seule. Je ne pouvais pas lui dire ce à quoi je pensais, ce qui déjà défilait dans ma tête...


A SUIVRE